Toulouse n’a pas été épargnée par les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. Entre virulence des affrontements avec la police, dureté de la répression et difficulté des soutiens à se mobiliser, retour sur ces quelques jours intenses.
A Toulouse comme dans beaucoup d’autres endroits en France, les nuits qui ont suivi la mort de Nahel, 17 ans, tué le mardi 27 juin par un policier à Nanterre, ont vu de nombreux jeunes des quartiers descendre dans la rue pour exprimer leur colère. Une révolte spontanée, populaire, violente, qualifiée d’émeute par le gouvernement et la plupart des médias, qui, ici, s’est surtout donnée à voir dans le quartier du Mirail, en particulier à la Reynerie et à Bellefontaine.
Mercredi 28 juin, Chouf Tolosa était sur place à la Reynerie et a pu observer le premier soir de révolte : une situation inaugurale un peu étrange avec un rassemblement de militants au milieu de la place Abbal, des jeunes du quartier créant un attroupement dans un autre secteur, des habitants vaquant aux préparations de la fête de l’Aïd et, en plus de tout cela, un événement associatif pour les petits au milieu de la place…
C’est un peu plus tard que des poubelles sont mises en travers de la rue de Kiev par de jeunes adolescents. Tirs policiers de grenades lacrymogènes, feux de poubelles, jets de pierres, mortiers contre lacrymos et flashball. En retrait, côté place Abbal, beaucoup de monde s’approche, assiste à la scène, filmant et commentant. Jeunes, plus vieux, familles, Plusieurs des personnes présentes semblent comprendre, voire soutenir. « C’est malheureux mais y’a qu’en brûlant qu’on nous écoute, c’est dommage mais c’est normal après ce qu’ils ont fait », lâche un habitant du quartier, la quarantaine, qui assiste à la scène. Un petit groupe d’anciens qui observent attentivement les évènements et commentent entre eux en arabe, semble en débattre.
Non loin, à Bellefontaine, plusieurs policiers sont postés sur le toit du commissariat. Il est 20h30 environ. Le volet métallique du commissariat se lève et un groupe de policiers en civil casqués et équipés sortent brusquement et traversent la place en courant pour interpeller un jeune homme, au profil plutôt « d’étudiant ». Face à la réaction de passants qui filment la scène, celui qui semble être le chef de de l’équipe de policiers, menace de « casser tout ce qui est sur le chemin », brandissant matraque télescopique et flashball. Après une autre charge pour interpeller un jeune du quartier, c’est le retour au commissariat sous les huées de nombreux spectateurs de cette scène surréaliste.
Les stations de métro Bellefontaine et Reynerie sont à l’arrêt. Sur la Reynerie, le calme est un peu revenu mais des petits groupes continuent à bouger dans le quartier. Alors qu’il ne se passe plus grand chose, des policiers menacent et insultent des jeunes qui passent et des habitants qui interrogent leur comportement. A noter aussi qu’un chien, qui selon plusieurs témoins était attaché à un arbre par son propriétaire, a été tué d’une balle dans la tête par un policier. Cette action justifiée par la préfecture qui parle dans son communiqué d’une menace représentée par l’animal jugé « dangereux », a choqué dans le quartier et l’image du propriétaire du chien portant son chien mort sur son épaule a suscité une vive émotion chez beaucoup de monde comme le détaille cet artitcle de France 3 : Mort de Nahel à Nanterre. Un chien tué par un policier lors des affrontements à Toulouse, vive émotion dans le quartier et enquête ouverte.
Plus tard dans la soirée, et pour les soirs à venir, les quartiers voisins de Bellefontaine, Bagatelle et la Faourette vont aussi s’embraser, moins intensément. Aux Izards, à Borderouge, quelques brèves situations d’émeute ou d’incendie vont se produire. Dans le quartier d’Empalot, en revanche, où la récente mort d’un jeune tué par balle dans un « règlement de compte » lié au trafic de drogue a mis le quartier sous tension, la situation semble être restée calme durant ces journées.
Côté initiatives de soutien, des associations du quartier des Izards ont reporté la fête de quartier pour faire un temps de discussion et d’échanges autour de la situation avec des professionnels et habitants, le 1er juillet en fin d’après-midi. L’occasion d’entendre les paroles d’habitants de quartier, de certains jeunes et leurs visions et analyses des évènements. Il y sera notamment questions de contrôles au faciès (thème que nous avons récemment abordé, voir l’article ici), de manque d’accès au droit commun, d’inégalités scolaires et de discriminations raciales et sociales.
En ville, la manifestation demandant « Justice pour Nahel » prévue au centre-ville le 30 juin a été interdite par la préfecture et les rares personnes qui ont tenté de s’y rendre ont pour certaines étaient contrôlées et fouillées puis repoussées de la place, occupée par un grand évènement de marathon. Le cortège qui a tout de même réussi à se former a rapidement été dispersé après une petite déambulation dans le centre-ville. Le lendemain, le samedi 1er juillet, on a pu constater un gros dispositif policier et des contrôles en série sur le Capitole et le square Charles de Gaulle à l’encontre de plusieurs groupes de jeunes perçus comme venant de quartiers (la plupart non blancs et habillés en survêtement).
C’est le 5 juillet, soit une semaine après la mort de Nahel, qu’un rassemblement un peu large et unitaire, à l’initiative de formations politiques, syndicats, organisations de défense des droits humains et associations s’est tenue juste devant le Palais de Justice. Un rassemblement modeste, aux couleurs très militantes, et pacifique où se sont succédé des prises de parole dénonçant les violences policières, la répression, le racisme systémique. La préfecture avait prévenu qu’un drone surveillerait la zone de rassemblement et les quartiers alentours.
Car durant ces journées de tension, le contrôle et la répression se sont considérablement durcis. Selon les chiffres même de la Préfecture, entre les nuits du 29 juin et celle du 3 juillet, dans les cités de Toulouse, plus de 90 véhicules ont brûlé ; des dizaines de feu de poubelles, de containers et de petits incendies sur du mobilier urbain ont été constatés ; deux autocars, deux semi-remorques, une camionnette et la cabine d’une grue ont été incendiés.
Face à cela, la police et la gendarmerie ont procédé à au moins 96 interpellations. Ils ont parfois été appuyé par le Raid et le GIGN, notamment dans la nuit du 29 au 30 juin où 230 policiers et gendarmes, ainsi que 40 pompiers, ont été mobilisés, essentiellement dans le quartier de la Reynerie. Ils étaient 340 policiers et gendarmes dans la nuit du 2 au 3 juillet.
Durant cette période, le Préfet – qui a rappelé que « les personnes interpellées étaient le plus souvent mineures ou de très jeunes majeurs » – a délivré des autorisations aux forces de l’ordre d’utiliser des drones. Et les stations métros des quartiers populaires (à partir de Arènes sur la ligne A et les stations Empalot et 3 cocus sur la ligne B) n’ont plus été desservies à partir de 21 h.
A Toulouse, comme ailleurs, les quartiers, et notamment leurs habitants les plus jeunes, qui ont crié leur colère après la mort de Nahel ont été contenus, réprimés, interpellés, et, souvent, très sévèrement condamnés.
Alors que les évènements, pourtant encore tout récents, semblent comme s’être évaporés au contact de la répression et des vacances d’été, les conséquences n’ont certainement pas fini de résonner dans les quartiers toulousains comme dans toute la France. Nul doute que les bilans devront être tirés à partir de réflexions beaucoup plus profondes que de simples chiffres et éléments spectaculaires, pour espérer répondre à l’urgence et à la gravité des problèmes vécus dans les quartiers populaires.
