Home L'actuA la une « En Palestine, même une fiction romantique peut être contrariée par le réel et l’histoire »

« En Palestine, même une fiction romantique peut être contrariée par le réel et l’histoire »

by Khadija

La 10ème édition de Ciné Palestine Toulouse à débuté lundi 4 mars et se tient jusqu’au 12 mars. Lancé en 2014, ce festival met en avant la diversité du cinéma palestinien, avec toujours une attention particulière à la jeune génération. Au programme cette année: des films militants des années 60 à 80 et une sélection d’archives filmiques pour mieux comprendre l’histoire de la Palestine et ses défis actuels. Pour Chouf Tolosa, Jeannine Vernhes Arabi (coordinatrice) et Annie Boudjema (logistique et coordination des bénévoles) reviennent sur cette dixième édition qui se déroule sur fond de massacre à Gaza.

Cela fait 10 ans que le festival Ciné Palestine de Toulouse existe. Comment votre présence a-t-elle évolué à Toulouse et alentour durant cette décennie ?

Jeannine : À Toulouse, durant le festival, le cinéma palestinien est accueilli dans toutes les salles de cinéma de la ville ainsi que dans des lieux culturels comme la Cave Poésie, le Théâtre Le fil à Plomb, la Médiathèque José Cabanis, ou le Centre culturel Bonnefoy. Nous sommes aussi présents dans 10 villes en région, telles que Cahors, Figeac, Albi ou Auch, pour citer les plus importantes.

Le contexte sur place est cette année particulièrement terrible puisque plus de 30 000 personnes ont été tuées par les Israéliens dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre. Dans le domaine du cinéma, le 10 février dernier, on a vu l’actrice Alba Flores (connue pour son rôle de Nairobi dans la Casa de Papel) apporter son soutien à la Palestine lors de la cérémonie des Goyas. Elle a estimé qu’il était difficile de « célébrer sans penser à ces victimes [palestiniennes] », que cela était « contradictoire »…

Jeannine : Bien entendu, notre équipe a préparé cette dixième édition avec en tête ce qu’il se passe à Gaza. Comment ne pas en parler ! Les instances internationales pointent du doigt cette situation insoutenable, alors que la soi-disant communauté internationale détourne la tête et laisse faire le génocide en cours.

On a dans notre équipe des palestiniennes et des palestiniens qui sont touché·es directement. Les affiches des deux dernières éditions du festival ont été réalisées par des artistes de Gaza. On a des liens avec des Gazaoui·es qui ont fait des films et les nouvelles qu’on reçoit d’elles et eux sont terribles. On est attachés aux gens de Gaza, de Cisjordanie. Si on a décidé un jour de créer ce festival, c’est parce que la Palestine, son peuple et sa culture nous intéressent et que nous avons voulu partager cela. On pense sans cesse à ce que subissent les gazaouis en ce moment mais aussi la Cisjordanie, de plus en plus dévastée, les habitants des camps de réfugiés, les bédouins dans le désert…

Donc oui, la préparation de cette dixième édition ne s’est pas faite sans tristesse, ni sans colère.

La programmation de cette dixième édition est exceptionnelle avec notamment des films palestiniens militants des années 60 à 80. Comment y avez-vous eu accès ?

Jeannine : Ce travail a été initié et mené par la Cinémathèque de Toulouse en lien avec Khadijeh Habashneh, qui est une cinéaste qui vit en Jordanie, et dont l‘époux, Mustapha Abou Ali, fut aussi cinéaste dans les années 70. Elle est chargée des archives du cinéma palestinien en Palestine. Elle était déjà venue à Toulouse en 2018 dans le cadre du festival pour participer à une table ronde autour des archives du cinéma. Durant la guerre au Liban, dans les années 80, un fond de films palestiniens conservés à Beyrouth a disparu. On a su par la suite que bon nombre de ces films étaient en Israël, difficilement accessibles. Khadijeh Habashneh a fait un gros travail de collecte, elle est allée en Jordanie, au Liban, en Égypte pour y recueillir tous ces films qui n’étaient pas protégés. De la rencontre de Khadijeh et de la Cinémathèque de Toulouse, est né un le beau projet de numérisation de ces films. cela s’intitule “Le cinéma palestinien, Archives en exil”. Les films sont projetés les 8 et 9 mars à la Cinémathèque en partenariat avec Ciné-Palestine Toulouse. Grâce aux cinéastes qui étaient parmi les résistant·es, ces films donnent accès à l’histoire de cette époque. C’est ainsi que le cinéma palestinien est né: des hommes et des femmes ont pris une caméra pour filmer ce qu’il se passait sur le terrain.

Annie : Les films retrouvés par Khadijeh Habashneh sont arrivés à la Cinémathèque, ont été numérisés au Centre de recherche et de conservation de Balma et sous-titrés avec l’aide de Ciné Palestine. C’est un partenariat très prolifique ! Le résultat c’est ce cycle diffusé sur deux jours, un point fort de notre dixième édition.

Vous attendez-vous à un engouement particulier cette année autour du festival  ?

Jeannine : De plus en plus de gens s’intéressent au cinéma palestinien. De par le sujet politique « Palestine », bien sûr, mais pas seulement. Il y a aussi tout simplement un intérêt pour le cinéma et les cinéastes palestiniens. Mais forcément, que ce soit dans les documentaires ou les fictions, le sujet « Palestine » est toujours là : le cinéma s’appuie toujours sur l’histoire et le vécu des pays où il est réalisé.

Samedi 2 mars, la soirée d’ouverture du festival a notamment vu le groupe de toulousaines La Bruja monter sur scène (ER)

Annie : Ce n’est pas un festival de cinéma militant. C’est du cinéma fabriqué par des réalisateurs ou réalisatrices palestinien·nes, mais aussi par des personnes non-palestiniennes vivant en Palestine ou à l’extérieur. Et qui, tous, parlent de l’histoire. Car immanquablement, quand on filme la vie quotidienne, on raconte des bribes d’histoire. Comme par exemple Yallah Gaza (Roland Nurier, 2017), un documentaire qui se déroule bien avant le 7 octobre. Dans les vécus que ce travail donne à voir, l’histoire est derrière, en filigrane. Idem pour le documentaire Jaffa, la mécanique de l’orange (Eyal Sivan, 2009). Jaffa était une ville connue pour sa production d’oranges par les Palestiniens. Elle a ensuite été occupée et détruite par les Israéliens. Aujourd’hui il n’y a plus d’orange à Jaffa, plus de vergers… A travers ce documentaire, on voit l’histoire de la Palestine depuis 48.

Tous les films, même les plus légers sont imprégnés de cette histoire, sans que ce soit forcément revendicateur ou militant. Car en Palestine, même une fiction romantique peut être contrariée par le réel et l’histoire, s’il faut passer un checkpoint pour rejoindre l’être aimé…

Quels films recommanderiez-vous en priorité cette année ?

Jeannine : Il y a 37 films programmés cette année. Notre petite équipe de sélection voit tous ceux qui nous parviennent en amont et ensuite un choix est fait : ce n’est pas parce que c’est un film palestinien qu’on le retient automatiquement. Donc, au final, on a vraiment envie de partager et de défendre tous les films choisis et programmés dans le cadre du festival !

Je parlerai quand-même du film d’ouverture Bir’em (2022), réalisé par un Français, Camille Clavel, qui s’est rendu sur place et a réalisé une fiction sur une jeunesse qui décide de faire revivre un village dévasté il y a des années. C’est un très beau film sur la mémoire et sur le goût de faire revivre. Et puis celui de clôture : A house in Jérusalem (2023), de Muayad Alayan, un réalisateur qui vit à Jérusalem. Il s’est intéressé aux maisons palestiniennes abandonnées après la Nakba (l’exode forcé des Palestiniens) de 1948, ou la guerre de 1967 (la guerre des six jours) et qui ont ensuite été récupérées, volées, par des Israéliens et montre comment les personnes qui habitent ces maisons-là, ont du mal à y vivre. Son film le raconte par le prisme d’une petite fille de 7 ou 8 ans qui vit avec ses parents et perçoit la présence perturbante des anciens habitants à travers des objets. C’est une fiction dont on a fait le sous-titrage.

Annie : En plus de Jaffa, la mécanique de l’orange, ce documentaire d’Eyal Sivan que j’aime beaucoup, je pense à un film terrible : Tantura (Alon Schwartz, 2022), un documentaire qui revient sur la destruction d’un village en 1948 par une colonne israélienne. C’est raconté par des témoins de l’époque, de vieux Israéliens qui ont assisté ou participé à cette destruction. Il n’y a plus trace de ce village aujourd’hui, il est sous le béton. Il y a aussi Alam (Firas Khoury, 2022) qui montre la vie de jeunes adolescents palestiniens en Israël dans un établissement au-dessus duquel flotte le drapeau israélien. Et puis, un peu plus léger, un petit film d’animation qui fait l’ouverture : Je suis de Palestine (Iman Zawahry, 2023). C’est l’histoire d’une petite fille à l’école à qui sa maîtresse demande de placer son pays sur la carte. Et elle ne trouve pas son pays.

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