« Avant de tourner la page, il faut d’abord écrire l’histoire ». Cette citation de Tarek Kawtari, co-fondateur du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB) figure en belle place dans l’agenda 2026 édité par Mémoires de nos luttes aux éditions Premiers Matins de Novembre1. Ce collectif veut transmettre l’histoire des luttes anticoloniales, de l’immigration et des quartiers populaires. Et rien de mieux qu’un agenda pour nous rappeler au quotidien les luttes de nos anciens… Entretien avec Nabil, militant antiraciste, membre de MDNL et directeur éditorial de l’agenda*.

Qui est ce « nous » qui se cache derrière Mémoire de nos Luttes (MDNL) ?
Nabil : Il s’agit de parler des luttes des milieux populaires en général, et plus particulièrement de celles et ceux qui sont le plus invisibilisé·es et marginalisé·es, c’est-à-dire les immigré·es, les issu·es de l’immigration et les habitant·es des quartiers populaires. En même temps, on veut montrer que ces luttes sont non seulement les nôtres mais aussi celles de tout le pays. Les avancées sociales se sont faites grâce aux gens d’en bas et grâce aux immigré·es, des FTP-MOI2 aux révolté·es contre les crimes policiers, des marches pour l’égalité aux batailles pour le logement en passant par les mobilisations dans les mines, les usines, les foyers.
On entend souvent que nos parents auraient courbé l’échine et rasé les murs, qu’ils n’auraient pas combattu les discriminations et les injustices dont ils étaient victimes à leur époque…
Nabil : Il y a un mythe déshumanisant autour du travailleur immigré, bête de somme qui ne serait venu en France que pour travailler, pour n’être qu’un corps, des bras, sans cerveau et sans cœur. Pourtant, à travers les archives, les témoignages, l’histoire nous dit autre chose. Parmi les immigré·es, il y avait de nombreux·ses militant·es, des syndicalistes aux sensibilités différentes. Il y avait des hommes et des femmes qui vivaient la déchirure de l’exil et qui, souvent, trouvaient un accueil glacial en France. Ils et elles étaient animé·es de rêves, de blessures, d’espoirs… Ils et elles sont arrivé·es avec leurs modes de vie, leurs musiques, leurs danses, leur humour aussi, tout cela les accompagnait dans leur expérience du déracinement. C’est ce qui fait l’histoire de l’immigration : la lutte, la vie, l’amour, la camaraderie. J’ai une anecdote à ce sujet. Ma grand-mère m’a raconté qu’un jour, mon grand-père était parti postuler sur une autre usine de sidérurgie de la région avec des camarades algériens, marocains, et un italien. Le patron a décidé de prendre l’italien et de refuser les autres. Le camarade italien lui a répondu : « si tu les prends pas, tu me prends pas non plus ! » Mon grand-père en avait été particulièrement ému. C’est cela que je souhaite raconter. Et en parlant de travail, il existe des initiatives trop peu connues, comme le Mouvement des travailleurs arabes (MTA), fondé en 1972. C’est le premier mouvement autonome d’organisation des immigrés au travail mais aussi en dehors, dans les foyers et dans la rue. C’est une histoire riche et précieuse pour nous. C’est ce qu’on veut faire avec MDNL, mettre en avant ces luttes souvent ignorées au profit d’autres plus connues, même si on les revendique tout autant.

Comment (re)créer cette histoire et cette mémoire ?
Nabil : MDNL existe sur Instagram, c’est une question de génération. On y propose des posts aux formats courts et accessibles pour toucher un public assez large. On apporte notre pierre à l’édifice mémoriel en nous inspirant d’autres initiatives comme les journaux et les expositions du MIB ou encore la constitution d’archives de l’agence IM’média ou du Tactikollectif. Aujourd’hui, l’agenda en physique, c’est l’étape d’après. C’est important d’avoir un format matériel, palpable, et en même temps de proposer un objet joli et pratique. Le concept est simple : présenter des événements politiques à leur date anniversaire afin de se rappeler et de commémorer cette histoire. Par la suite, nous aimerions monter un site, proposer des podcasts et approfondir nos recherches en allant piocher directement dans les archives. C’est pour accomplir tous ces projets que la totalité des bénéfices de l’agenda reviendront au média !
L’agenda est disponible en librairie et sur le site des Éditions PMN au prix de 13 €. Une bande-son est proposée au fil des pages, invitant les lecteurs et lectrices à découvrir les cultures immigrées et des artistes engagé.e.s
1 Premiers Matins de Novembre est une petite maison d’édition indépendante « aux lignes éditoriales anti-impérialistes, antiracistes et décoloniales » installée à Toulouse et dirigée par Assia El Kasmi.
2 Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les francs-tireurs et partisans – main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) étaient un groupe armé de résistants majoritairement étrangers.
* Nabil est par ailleurs membre du comité de rédaction de Chouf Tolosa
