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Le « choc des savoirs », une réforme qui fragilise les élèves des quartiers populaires

by Leïla Larabi

A Toulouse comme ailleurs, la réforme scolaire du « choc des savoirs », suscite de nombreuses inquiétudes. En regroupant les élèves faibles avec les faibles et les forts avec les forts, cette réforme abîme la promesse inclusive de l’école et remplace la solidarité par la compétition. Le sujet passe un peu sous les radars et la mobilisation reste faible. Mais des manifestations sont prévues 25 mai, dont une à Toulouse.

Pancartes de parents en colère contre la réforme lors d’une réunion publique, mardi 7 mai à l’école élémentaire Simone Veil à la Reynerie (DR)

Gabriel Attal, éphémère ministre de l’éducation nationale (du 20 juillet 2023 au 9 janvier 2024) avait affirmé, le jour de sa nomination comme premier ministre le 9 janvier,  qu’il comptait emmener avec lui, à Matignon « la cause de l’école ». On mesure aujourd’hui l’étendue des dégâts de cette promesse matérialisée dans sa réforme dite du « choc des savoirs ».

Proposé par Gabriel Attal lors de son discours de la Bibliothèque Nationale le 5 octobre 2023, ce « choc des savoirs » censé entrer en vigueur dès la rentrée de septembre 2024 concerne les collégiens de 6ème. Il s’agit de mettre en place des groupes de niveaux de français et de mathématiques qui seront établis à partir des évaluations nationales et possiblement à partir des appréciations des professeurs de CM2 aussi.

Ces évaluations nationales permettront de trier les élèves : les élèves faibles se retrouveront dans un mème groupe, et les forts avec les forts sans possibilité d’évolution. Comme le résume François Jarraud, animateur pendant 20 ans du site Le Café pédagogique, dans un article du 21 mars dernier « Choc des savoirs : le collège abaissé », « ce seront des groupes de niveau. On aura donc un groupe faible défini au début de l’année. Il aura dans la plupart des collèges la taille d’une classe ordinaire. Et il continuera toute l’année. Dans ces conditions, il est probable qu’à la fin de l’année, le groupe faible sera toujours faible et celui des forts toujours fort. Le destin scolaire des enfants sera fixé à 11 ans.»

Mais quid des élèves avec des difficultés ou des handicaps ? Autre conséquence de cette réforme que Gabriel Attal ne peut pas ignorer : elle impactera encore plus les enfants des quartiers populaires où le niveau scolaire est inférieur à celui des autres quartiers, notamment à cause de l’insuffisance des moyens et des personnels déployés (voir ce qu’en disait déjà en 2018 un des organisateurs des Etats généraux de l’éducation dans les quartiers populaires). Et beaucoup d’enfants de ces quartiers risquent de se retrouver dans le groupe des faibles ou des moins faibles, juste parce qu’ils habitent et grandissent au « mauvais endroit ».

De fait, le choc des savoirs va à l’encontre des impératifs de mixité sociale et d’évolution vers le haut et à l’inverse du but officiel de l’école publique qui est d’inclure les élèves dans des groupes hétérogènes et de promouvoir le vivre ensemble. Pourtant, il a été mis en place ces dernières années des projets de mixité sociale dans plusieurs villes de France, dont Paris et Toulouse, qui ne sont pas parfaits mais ont donné de bons résultats, les élèves de quartiers étant tirés vers le haut. Dans ce cadre, n’a t’on pas vu des élèves expliquer à leurs camarades ce que le professeur n’avait pas réussi à leur faire comprendre ? N’a t’on pas vu souvent leur volonté d’aider et de tirer vers le haut leurs camarades ?

L’école du choc des savoirs voulue par Attal est au contraire exclusive, et privilégie ceux qui réussissent du premier coup. Comme si les enfants n’avaient pas droit à l’erreur, au tâtonnement. Et chacun sait que la classe sociale joue un rôle primordial dans la réussite des élèves : dans un quartier populaire, il sera compliqué de payer des cours particuliers à ses enfants quand on a du mal à joindre les deux bouts. Ce qui sera plus aisé quand on appartient à la classe moyenne ou celle au dessus.

Un message clair contre le “choc des savoirs” de Gabriel Attal affiché devant l’école élémentaire Victor Hugo à Bellefontaine (DR)

Les syndicats d’enseignants s’inquiètent aussi car cette réforme va faire perdre une heure d’enseignement aux élèves de SEGPA . « Les élèves de SEGPA paient la note de la réforme du choc des savoirs en perdant une heure d’enseignement par semaine en 6ème. De plus, les textes qui organisent la réforme en SEGPA se contredisent », peut-on lire sur le site du SNES dans un article du 2 avril dernier.

Au-delà, cette réforme pose de nombreuses autres questions et problèmes. Vu l’actuelle pénurie de professeurs, comment l’État va-t-il pallier au besoin de nouveaux professeurs pour les différents groupes de niveau ? Le gouvernement prévoit des manuels labellisés par l’État, ce qui constitue une entorse à la tradition républicaine (cela n’a existé que sous Pétain), et met à mal la liberté pédagogique des enseignants. Et sur la page du site de l’éducation nationale dédiée à la réforme, le gouvernement se fixe comme objectif de rehausser le niveau d’exigence du brevet et du baccalauréat. Ainsi le brevet sera exigé pour accéder au lycée. Qu’adviendra-t-il alors des élèves qui pour une raison quelconque, à quelques points près, rateront le précieux sésame, et ce alors que le contrôle continu était en place ?

Aujourd’hui, nombre de parents s’inquiètent des violences de cette nouvelle réforme : violence des évaluations, violence dans la séparation entre les élèves et dans la mise en compétition permanente Cela a été constaté par les parents délégués lors de réunions publiques qui, à Toulouse, ont déjà eu lieu dans plusieurs établissements, dont l’école élémentaire Simone Veil et le collège de Saint Simon, dans la zone du grand Mirail, afin d’alerter les parents pour agir avant que cela soit mis en place.

Mardi 14 mai, en fin d’après-midi, un rassemblement parents /enseignants sur ce sujet s’est encore tenu sur la place Abbal à la Reynerie. Il a mobilisé moins de personnes qu’espéré: une vingtaine environ avec plus de profs que de parents. Une faible mobilisation qu’une mère d’élève présente a expliqué par le fait que nombre de parents ne sont pas encore au courant de la mise en place de cette réforme et de son contenu, tandis que la vigilance des autres a été « endormie » par la présentation positive qui en est faite par le pouvoir et ses institutions.

Une grande manifestation nationale est prévue le samedi 25 mai. A Toulouse, elle partira à 11 heures du métro Jean Jaurès. Dans un communiqué commun, les fédérations départementales CGT éduc, FCPE, FO, FSU, Sgen CFDT, SUD éducation et UNSA éducation appellent à manifester ce jour là à Toulouse pour dire « non au choc des savoirs » et « ensemble faire société autour de l’école ».

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