Le 13 décembre, cinq jours avant la Journée internationale des droits des migrant.e.s*, l’Union locale des syndicats CGT Mirail a tenu à mettre à l’honneur les travailleur.e.s immigré.e.s de France au travers d’un ciné-débat suivi d’une table ronde. Retour sur une soirée fraternelle, ce qui n’a pas empêché les discussions, et parfois les désaccords, notamment sur les enjeux de genre et de race.

Ce 13 décembre, dans les locaux de la CGT Mirail, s’est tenue une soirée ciné-débat avec la présence notable du Collectif Migrants CGT 31, d’un représentant de l’Institut d’Histoire sociale CGT 31, ainsi que de Gallé Coulibaly, membre du groupe Mémoire de nos Luttes. Deux projections se sont ainsi succédé : « La vie devant nous » , un film de Frédéric Laffont (2021), puis un documentaire de la CGT intitulée « Prolétaires de tous les pays… Une histoire de la CGT et de la main d’œuvre immigrée » (2025).
Ces documentaires retracent les vies, les espoirs et les luttes de nombreux travailleurs immigrés et/ou étrangers (c’est-à-dire sans papiers et qui ne jouissent pas du statut de citoyen.ne en France) depuis les années 60.
« La vie devant nous » suit les parcours d’anciens travailleurs d’origine marocaine ayant été recrutés dans leurs villages au cours des années 1960 / 1970 par un certain Félix Mora, ancien soldat français alors à la recherche de main d’œuvre étrangère pauvre et analphabète – donc jugée plus docile – prête à traverser la Méditerranée pour travailler dans les mines du Nord. Certains témoins racontent qu’ils ont à peine la majorité lorsqu’ils embarquent sur le bateau qui les emmène vers la France. D’autres racontent leur découverte hallucinante de la neige, pour laquelle ils n’avaient pas même de mots pour la nommer tant elle leur était étrangère. Surtout, ils racontent la dureté du travail au fond des mines, les accidents, les discriminations subies. Mal-aimés de leurs collègues européens (Italiens, Espagnols, Polonais…) qui les voyaient comme une concurrence déloyale et menaçante, maltraités par la hiérarchie qui les usait jusqu’à l’épuisement avant de les renvoyer chez eux suite à des contrats courts, tel était le lot quotidien de ces hommes.
Le documentaire de la CGT, quant à lui, présente diverses luttes des travailleurs immigrés des années 1970 à nos jours. De nombreuses – et précieuses – images d’archives sont ainsi rassemblées telles celles des grandes grèves de l’industrie automobile ou de la grève de la faim des sans papiers de l’église Saint-Bernard en 1996. Le documentaire insiste sur le soutien actif de la CGT à ces mobilisations. Jean-Albert Guidou, membre de la CGT Bobigny, fait par ailleurs remarquer que lorsqu’on étudie « sur une longue période l’histoire de la constitution de la classe ouvrière en France, [on constate que] la part des travailleurs étrangers a toujours été importante ». Les travailleurs immigrés ne sont donc pas à la marge de la classe ouvrière française, ils en font pleinement partie.

L’usage du masculin est ici justifié par le fait que les deux films retracent presque uniquement des parcours d’hommes. Cela n’a pas manqué de susciter des remarques appuyées au cours de la table ronde et des échanges avec le public. Car si l’histoire des travailleurs immigrés commence tout juste, tant bien que mal, à faire sa place dans la « grande histoire » des luttes sociales en France, la question des femmes travailleuses est encore quasiment inexistante. Gallé Coulibaly, insiste sur une autre catégorie de personnes souvent oubliées, les compagnes et épouses des travailleurs immigrés qui, même sans occuper un emploi salarié, n’en sont pas moins présentes sur le territoire français et travaillent à la maison, éduquent les enfants. À ce titre et au nom d’une égalité totale entre les femmes et les hommes, la lutte pour les travailleurs immigrés doit s’étendre à tous les sans papiers, salarié.e.s ou non.
Un second sujet a provoqué quelques tensions dans l’assemblée : la question du racisme. Car si les deux documentaires mettent ce problème en leur centre, les interventions de la table ronde ne l’ont que trop peu évoqué, se concentrant davantage sur la question du salariat et de la classe ouvrière comme un tout indivisible. Pourtant, la situation des travailleurs immigrés ou étrangers ne peut se lire sans évoquer les discriminations raciales, a remarqué, en substance, Gallé Coulibaly, soutenu par quelques acquiescements de la tête dans l’assistance, entre deux silences. Une remarque formulée à la suite des propos de Jean-Albert Guidou : il faut que la CGT – et par extension les autres syndicats – soit « totalement représentative du salariat », et portée par d’autres travailleurs que des « mecs comme moi, fonctionnaire d’origine, qui a déjà dépassé les cinquante ans, Blanc ». Une punchline efficace pour résumer un enjeu essentiel du syndicalisme contemporain.
(*) Chaque année depuis l’an 2000, la journée internationale des droits des migrant.e.s est célébrée le 18 décembre. Elle vise à commémorer la protection des droits des migrant.e.s et de leur famille.
