Retour sur le mouvement en soutien à Georges Floyd, Adama Traoré et toutes les victimes des violences policières. Partout, la mobilisation prend de l’ampleur et s’organise. A Toulouse, le prochain rassemblement aura lieu mercredi 10 juin à 18h, square Charles de Gaulle.
Mercredi 3 juin a eu lieu à Toulouse un rassemblement historique contre les violences policières et le racisme d’Etat. A l’appel du collectif Vérité & justice 31, des milliers de personnes se sont réunies au square Charles de Gaulle en soutien à Georges Floyd, cet homme noir de 46 ans, tué par un policier, Derek Chauvin, lors d’une interpellation le 25 mai à Minneapolis, dans le Minnesota, aux Etats-unis. Son meurtre a été filmé en direct : Georges Floyd est interpellé par 4 policiers dans sa voiture, menotté puis plaqué au sol sur le ventre. Derek Chauvin l’immobilise dans cette position en exerçant avec son genou une pression sur son cou pendant près de 9 minutes, alors que Floyd lui dit « I can’t breathe » (« Je ne peux pas respirer »). Tout cela filmé par des passants qui informent la police que leur victime est mourante, sans aucune réaction de leur part. Ces images diffusées sur les réseaux sociaux ont généré une réaction d’indignation à travers le monde. Et « I can’t breathe » est devenu l’un des slogans de cette mobilisation internationale.
En France, cette histoire fait directement écho à celle d’Adama Traoré, ce jeune de la banlieue parisienne âgé de 24 ans tué de la même façon (suite à un plaquage ventral) le 19 juillet 2016 à la gendarmerie de Persan dans le Val d’Oise après son interpellation à Beaumont sur Oise. La soeur d’Adama, Assa Traoré, se bat depuis quatre ans pour que la vérité éclate et que justice soit faite grâce au comité Vérité et justice pour Adama. A Toulouse, le Comité Vérité & Justice 31 s’est créé en novembre 2016, suite à cette affaire mais aussi à cause des nombreuses victimes de violences policières dont les auteurs n’ont jamais été inquiétés. Mercredi, à Toulouse, des personnes de tout horizon, dont beaucoup de jeunes, ont clamé « Justice et vérité pour Adama !».
Les noms des victimes policières seraient longues à nommer ici. Mais selon le journal en ligne Bastamag, en France, entre janvier 1977 et décembre 2019, 676 personnes ont été tuées suite à une intervention de la police (voir notre encadré, ci-dessous). On peut y ajouter les personnes tuées en 2020 dont les 12 qui l’ont été pendant le confinement, cette période où tout était possible vu que les lieux étaient vidés de leurs habitants avec aucun témoin gênant.
Dans ces affaires, le scénario est souvent le même : à chaque meurtre commis par la police, les victimes sont déshumanisées soit parce qu’elles habitent un quartier populaire, soit parce qu’elles sont racisées, soit parce qu’elles auraient déjà eu des histoires avec la justice et que cela justifierait le comportement abusif de la police.
Cette impunité policière qui sévit depuis des années dans les quartiers populaires est devenue flagrante avec les gilets jaunes et les vidéos postées sur les réseaux sociaux. Ce qui a poussé une autre femme, Amel Bentounsi – dont le frère Amine a été tué d’une balle dans le dos en 2012 par un policier -, à mettre en place avec son association une application « Urgences violences policières » . « L’application a pour but la surveillance citoyenne de la police. Elle est le résultat de nombreuses années de réflexion et d’observation du comportement de la police française », souligne David Dufresnes, journaliste indépendant qui s’est attaché depuis le début du mouvement des gilets jaunes à recenser et à signaler les violences policières via son dispositif « Allo, place Beauvau… », mis en place sur twitter.
Les personnes présentes lors du rassemblement toulousain de mercredi ont pu entendre plusieurs témoignages sur le racisme vécu par les personnes racisées. Car la question du racisme ne se limite pas aux violences policières, c’est un tout : discrimination à l’emploi, contrôle au faciès qui se fait de plus en plus tôt !
Parmi ces témoignages, celui d’une étudiante noire parlant de sa recherche d’emploi après l’obtention de son BTS et expliquant que tous ses camarades non racisés ont pu trouvé quelque chose, mais pas elle ; cette mère de famille racontant qu’elle vivait depuis 18 ans à Toulouse sans jamais avoir participé à une seule manifestation mais que la mort de Georges Floyd, en écho à celles d’autres victimes, l’a poussé à venir crier son indignation et sa peur pour sa famille, ses frères, ses enfants; cette autre femme qui demandera de lutter contre le racisme chacun à son échelle, de réagir quand on voit une injustice, de ne pas laisser les personnes racisées qui se font agresser seules face à l’injustice; ou cette autre, parlant du controle au faciès sur des enfants de 11 ans…
Une émotion palpable de personnes qui veulent changer les choses et vivre juste sans craindre pour leurs vies à cause de la couleur de leur peau. Ce rassemblement a eu beaucoup de retours positifs du côté des personnes, racisées ou pas, pour organiser la lutte contre le racisme et ce qui en découle.
Dans cet objectif, le comité proposait de se rencontrer dimanche 6 Juin pour construire la suite, à la Chapelle où il a été décidé d’appeler à un autre rassemblement et manifestation le mercredi 10 juin à 18h au Capitole.
Entre temps, le mouvement, qui a désormais une ampleur internationale (des manifestations ont eu lieu un peu partout ce week-end) a fait bouger les lignes du côté des médias. En France, certains d’entre eux, plutôt habitués à recevoir des éditocrates libéraux, ont invité Assa Traoré ou Youssef Brakni pour parler de leur combat au sein du comité Adama. Et après que des médias indépendants tels que Streetpress ou Mediapart aient documenté le sujet, plusieurs articles dans la presse mainstream ont parlé du racisme des forces de l’ordre, en relayant notamment l’affaire des 8000 policiers échangeant des messages racistes et orduriers sur leurs groupes Whatsapp et Facebook (lire par exemple cet article de Midi Libre). Ce qui a provoqué une réaction du ministre de l’Intérieur (lire ici dans Le Monde ).
Est il devenu trop compliqué de cacher la violence des forces de l’ordre ? Est-ce que ces mobilisations historiques vont aboutir à plus de vérité et de justice ? L’avenir le dira. En attendant, chemine cette phrase, lancée mercredi au cours du rassemblement : « Nous sommes nés ici, on a le droit de vivre sans avoir peur de la police ! »
Des faits chiffrés et documentés
“Des violences policières en France, ça n’existe pas” a affirmé ce week-end Christian Jacob, le responsable de la droite française sur l’antenne d’Europe1. Un déni flagrant de réalité. Sur cette question, depuis quelques années, Bastamag.net se livre à un très précieux et précis travail de documentation, recensant « les interventions létales de la police et de la gendarmerie ou du fait d’un représentant des forces de l’ordre ». Ce décompte, actualisé au 13 décembre 2019, est réalisé « à partir d’archives de presse, de recoupement auprès de certaines familles de victimes, de leur comité de soutien, comme les collectif Vies volées et Désarmons-les, d’avocats, de plusieurs lecteurs, de chercheurs, ainsi que du travail précurseur de l’historien Maurice Rajfus et de son bulletin Que fait la police ? ». A consulter ici.
A voir aussi, ce document issu des sphères militantes antiracistes et de quartier intitulé « Ratonnades – chronologie », recensant entre mars 1971 et mars 2009 « les assassinats perpétrés par des flics ou des«citoyens zélés» sur des immigré-e-s et descendant-e-s d’immigré-e-s ». A consulter ici.