Gilet jaune de la première heure (lire ici ma première tribune en avril à ce sujet), je me suis rendu à Paris samedi 21 septembre pour rejoindre l’appel de l’acte 45 censé marquer le grand retour du mouvement après une baisse de la mobilisation durant l’été. Le rendez-vous était fixé à l’avance et avait le mérite d’être clair : “Tous sur les Champs-Elysée le 21 septembre, évènement historique”. Mon récit de cette journée particulière.
Les Champs-Elysées ont été le lieu symbolique de la contestation des Gilets jaunes durant les premiers mois du mouvement, son coeur de scène insurrectionnelle. Mais les manifestations y sont interdites depuis le 16 mars, date d’une manifestation qui avait tourné en affrontement très violent avec la police, et durant laquelle beaucoup de commerces avaient été saccagés, résultat d’une colère que le gouvernement refusait d’écouter depuis des mois. Le but de cette interdiction est clair : rendre les Gilets jaunes moins visibles. « La plus belle avenue du monde » étant l’une des vitrines du pays, l’Etat ne veut plus risquer de compromettre son image à l’international. C’est pour cela qu’à chaque rendez-vous national des Gilets jaunes à Paris, il a mis en place un dispositif policier hors du commun pour les empêcher d’atteindre les Champs-Elysées.
Samedi 21 septembre, l’acte 45 ne fait pas exception. Plus de 7800 policier sont déployés autour du secteur des Champs-Elysées pour empêcher les manifestants d’y accéder et des menaces d’amende et de garde-à-vue planent sur les personnes qui s’aviseraient de manifester à cet endroit. Le challenge est de taille, mais la détermination de ceux qui entendent faire valoir leur droit de manifester où et quand ils veulent est forte, face à un pouvoir exécutif qui, lui, fait du zèle pour réduire les libertés individuelles. Celles pour lesquelles tant se sont battus dans le passé, marquant l’histoire de ce pays.
Je me lève très tôt afin de pouvoir m’organiser pour arriver jusqu’aux Champs-Elysées. J’ai caché mon gilet jaune qui peut me coûter 135 euros et j’en ai fait de même pour mes lunettes de piscine (que j’utilise contre le gaz lacrymogène) qui, elles, sont considérées comme des « armes par destination » par les policiers, et peuvent me valoir une garde à vue. Je descends à un arrêt de métro pas trop loin des Champs (pas trop prêt non plus) et me mets à marcher, croisant des policiers par dizaines qui me fixent parfois de manière intensive. Je reste calme et continue mon chemin, car la palpation pourrait s’avérer risquée… La boule au ventre, je continue de marcher, un dernier policier bloque sur moi, je lui dit gentiment bonjour, il me répond la même chose, l’air un peu perdu.
Quelques mètres plus loin, je suis sur les Champs, enfin, comme un enfant qui a les yeux qui brillent devant le sapin de noël. Les policier sont très présents et guettent tout le monde. Beaucoup se font arrêter à cause d’un gilet pas trop discret. D’autres, qui ont pris des amendes, expliquent que la police leur a avancé, comme motif, « suspicion de manifestation »… Mais, d’un coup, des chants et slogans commencent à fuser: « On est là ! On est là ! Même si Macron ne veut pas, nous on est là… » La réponse ne se fait pas attendre : les policiers encerclent ce groupe et tirent les premières salves de gaz lacrymogène. La foule court dans les rues adjacentes. Une trentaine de policiers de la Brigade de répression de l’action violente (BRAV), motorisés, prennent place au milieu des Champs; ces policiers à moto sont appelés communément « voltigeurs », mais le pouvoir refuse l’utilisation de ce terme, car cette brigade est censée être interdite depuis la mort de Malik Oussekine en 1986, donc on change juste le nom pour que ça passe mieux.
Aux premiers grondements de ces grosses cylindrées, des huées commencent à fuser. C’est à ce moment là que je prends conscience que l’on est nombreux : je n’avais pas vu mes confrères, car ils n’avaient pas de gilets sur eux… C’était la stratégie prévue : se fondre dans la masse. Les policiers ne l’ont pas vu venir. Nerveux, ils recommencent à gazer. La première grenade de désencerclement se fait entendre, et les policiers nous poussent dans la rue qui fait angle avec le Fouquet’s, qui, au passage, a prévu des barricades ultra-renforcées. Pendant plus d’une heure, nous faisons des aller-retours face à une police confuse qui a du mal à différencier manifestants et touristes. Mais nous parvenons à revenir en nombre au milieu des Champs, en un seul bloc face à l’arc-de-triomphe. Avec un escadron de gendarmerie devant et un autre de CRS derrière qui balance une grenade Gli-F4 et se met à nous charger. Au même moment, nous commençons à nous décaler sur le trottoir, mais les gendarmes, sans réfléchir, tirent des grenades lacrymogènes qui tombent en plein milieu des CRS. Les cris et les rires fusent, les voltigeurs nous chargent en nous lançant une grenade lacrymogène. Jusqu’à 13h, on a tenu les Champs, nous étions à peu près 400, face à des policiers 10 fois plus nombreux que nous.
Certes, ce n’était pas l’acte 3 du 8 décembre, particulièrement chaud, et il n’y avait pas l’intensité des premières mobilisations, mais le pouvoir a encore une fois échoué à nous empêcher d’accéder aux Champs-Elysées. Et ça les médias « mainstream » ont du mal à l’avouer, préférant parler « d’acte raté » pour les Gilets Jaunes, en ignorant le contexte, tout comme l’histoire du mouvement qui compte désormais dix mois de contestation avec des milliers de blessés (dont certains ont des blessure dites de guerre), des milliers de personnes interpellées dont un bon nombre emprisonnées et une répression sans précédent dans les mouvement sociaux (1). Malgré cela, les Gilets Jaunes étaient toujours présents et là où on ne voulait pas qu’ils soient, c’est à dire sur les Champs-Elysée. Le pouvoir, lui, n’a pratiquement pas fait de commentaires, laissant comme à son habitude le travail de décrédibilisation du mouvement aux médias « mainstream ».
La journée continue en convergence avec les manifestations écologistes et finit par une soirée encore plus animée que la matinée. Devinez où… Sur les Champs-Elysées! Jusqu’à 23h, en effet, des Gilets jaunes déterminés jouent au chat et à la souris avec des policiers qui, ne sachant toujours pas différencier un Gilet jaune d’un touriste, gazent tout ce qui bouge. Des aller-retours entre les rues adjacentes et les Champs, des gazages massifs, jusqu’aux charges de la Bac et des voltigeurs, en passant par les grenades de désencerclement, les policiers usent de tout ce qu’ils ont pour, au final, demander avec politesse de bien vouloir quitter les Champs lorsque tout le monde est fatigué…
Mais là encore, les médias ont diffusé peu d’images de cette manifestation nocturne, préférant cacher l’incapacité de ces 7800 policier à nous empêcher de manifester sur nos Champs. Et au final, le gouvernement a une fois de plus brillé par son silence, excepté un tweet du fameux Christophe Castaner remerciant encore et toujours les forces de l’ordre de lui avoir sauvé la peau.
Le mouvement est en train de revenir de plus belle. Jusqu’à où ? Jusqu’à quand ? Tout le monde se le demande, mais ce qui est sûr, c’est que la flamme en chaque gilet jaune est désormais bien allumée et que personne ne pourra l’éteindre.
(1) Le 1er octobre, le dispositif « Allo @place-bauveau, c’est pour un signalement », du journaliste David Dufresnes, mis à jour, faisait état depuis le déclenchement du mouvement en novembre 2018 de « 860 signalements » d’actes pouvant être considérés comme « des violences policières » dont « 2 morts, 315 blessures à la tête, 24 éborgné.es et 5 mains arraché.es ».