Home Ma cité va clasher Jeune habitant de quartier populaire, pourquoi j’ai rejoint les gilets jaunes

Jeune habitant de quartier populaire, pourquoi j’ai rejoint les gilets jaunes

by Saïd

Depuis le mois de janvier, Saïd, membre du comité de rédaction de Chouf Tolosa, descend tous les samedi manifester dans les rues de Toulouse avec les gilets jaunes. Dans cette tribune, il explique pourquoi et comment il a rejoint le mouvement.

Le 19 janvier, lors de l’acte X du mouvement des gilets jaunes à Toulouse, dans le cortège,
une banderole dénonce la “brutale démocratie” ©ER

Que cela concerne l’absentéisme des députés, la gestion des dépenses publiques, ou même les scandales de corruption, une pensée m’est souvent venue : “Un jour il va falloir bouger, et il faudra que ça pète”. J’en ai aussi marre de voir nos acquis sociaux se faire grignoter doucement par des politiques qui se disent gardiens des libertés et de la démocratie, alors que d’autres avant nous ont saigné pour que l’on ait tout çaMais un jour, sorti de nulle part ou presque, le graal est arrivé : Les Gilets jaunes.

Depuis le 17 novembre, l’actualité est animée par le mouvement des gilets jaunes, et moi jeune de quartier d’origine maghrébine et de religion musulmane, je souffle. Je souffle, pour la simple et seule raison qu’on n’entend plus les médias dominants et autres politiciens, option pompier-pyromane, nous stigmatiser à longueur de JT.

Pourtant, le souffle a été court : en regardant ce mouvement dès ses premières semaines, je me suis senti concerné. Parce qu’à côté de mon ral-le-bol de voir les politicns nous stigmatiser en tant que communauté, et habitant de quartier “banni des lieux”, j’en ai aussi marre de voir les mêmes nous faire la morale, condescendants, pendant que eux touchent des salaires exorbitants et ne prennent pas leur travail au sérieux.

Pourtant, le souffle a été court : en regardant ce mouvement dès ses premières semaines, je me suis senti concerné. Parce qu’à côté de mon ral-le-bol de voir les politiciens nous stigmatiser en tant que communauté, et habitant de quartier “banni des lieux”, j’en ai aussi marre de voir les mêmes nous faire la morale, condescendants, pendant que eux touchent des salaires exorbitants et ne prennent pas leur travail au sérieux.

Les jeunes de cités et les gilets jaunes : deux sujets qui ont amené beaucoup de débats ces quatre derniers mois. Deux sujets qui ont visiblement un même adversaire, en l’occurrence l’Etat, mais aussi beaucoup de problématiques pas toujours communes, même si certaines se rejoignent.

Les jeunes de cités et les gilets jaunes : deux sujets qui ont amené beaucoup de débats ces quatre derniers mois. Deux sujets qui ont visiblement un même adversaire, en l’occurrence l’Etat, mais aussi beaucoup de problématiques pas toujours communes, même si certaines se rejoignent.

Que cela concerne l’absentéisme des députés, la gestion des dépenses publiques, ou même les scandales de corruption, une pensée m’est souvent venue : “Un jour il va falloir bouger, et il faudra que ça pète”. J’en ai aussi marre de voir nos acquis sociaux se faire grignoter doucement par des politiques qui se disent gardiens des libertés et de la démocratie, alors que d’autres avant nous ont saigné pour que l’on ait tout ça. Mais un jour, sorti de nulle part ou presque, le graal est arrivé : Les Gilets jaunes.

Militant depuis un long moment, j’ai soutenu le mouvement dès la première heure. Mais je ne me déplaçais pas en manifestation. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons. D’abord, je n’ai jamais été fan des manifs : pour moi, c’est beaucoup de fatigue pour peu de résultat. Ensuite, je me suis demandé qui étaient ces gens qui allaient manifester. Et si j’allais manifester avec eux, qu’allait-il m’arriver ? Allais-je être intégré ou stigmatisé ? Ce réflexe de méfiance que beaucoup de gens dit “issus de l’immigration” ont, s’active régulièrement chez moi à cause du climat mis en place par les médias. Mais malgré ça, je continue à m’informer par les médias indépendants, dont certains ont plus retenu mon attention que d’autres, je parle des live en direct, notamment avec “Brut” et Rémy Buisine qui prend beaucoup de risques pour nous faire de bonnes images et nous informer.

C’est à ce moment, où je regardais les directs de Rémy Buisine, qu’une étincelle s’est allumée en moi sans que je m’en rende vraiment compte. En voyant ces gens défier avec courage la police qui les réprimait violemment, en voyant l’ampleur que ce mouvement prenait, et en entendant encore et toujours les réactions nauséabondes de ceux qui nous gouvernent, je me suis dit que c’était peut-être le moment de faire ravaler ses paroles à Macron, qui symbolise ce que la politique peut faire de pire – un échec, un mensonge, la répression des plus faibles – et nous considère comme des moins que rien. Ces gens-là, que je voyais sur les live faire face à cette police qui depuis des années est utilisée pour protéger les intérêts d’une infime minorité et qui nous crache dessus, m’ont soudain paru très proches de moi, voire même familiers. C’est l’éducateur du centre de loisir qui nous faisait des jeux quand on était petit, la secrétaire de la vie scolaire de mon lycée ou de ma fac, ou bien l’ouvrier que je croisais en rentrant chez moi, tous ces gens que je fréquentais dans ma vie de tous les jours et avec qui j’ai grandi. Des gens qui m’ont servi de repères dans mon quotidien, durant toute ma jeunesse, mais qu’un écran de fumée médiatico-politique avait fini par me faire oublier. Pour au final m’enfermer dans ma paranoïa et rester entre les murs de mon quartier. Ces gens-là, je les connaissais depuis toujours, et ce mouvement des gilets jaunes les a fait briller afin que je les revois. C’est exactement à ça que sert ce gilet, il sert à être vu dans le noir.

En plus de cela, un autre sujet est venu raviver cette étincelle m’ayant fait passer le cap de la parole aux actes : celui des violences policières. Elles sévissent régulièrement dans nos quartiers, mais restent bien souvent dans l’ombre, toujours à cause des médias dominants et de la manipulation des politiciens. Là, cette violence s’est automatiquement mise en marche face au mouvement des gilets jaunes, comme si ce gilet l’avait faite briller malgré l’ombre minutieusement mise en place par les pouvoirs dominants du pays. Au jour où j’écris cet article, 22 personnes ont été éborgnées par des tirs de LBD 40, plus de 200 autres blessées à la tête et 5 mains ont été arrachées (cf. “Allo place Beauvau?” de David Dufresne) (1). Sans compter tous les coups de matraque balancés à l’aveugle par les policiers. Face à cette situation, ce n’était plus possible pour moi de rester assis, il fallait passer le cap, je ne savais pas encore quand, mais il fallait que je le fasse.

Le 2 mars, lors de l’acte XVI, du côté de la préfecture de Toulouse ©ER

Le samedi 12 janvier, alors que je sortais faire un tour en ville, je suis tombé sur le début de l’acte 9 des gilets jaunes, qui restera le départ de mon investissement dans le mouvement (à ce jour j’en suis à l’acte 19). En marchant avec eux, quelque peu craintif, surtout lorsque l’on croisait des policiers, je me baissais régulièrement par crainte d’un tir de LBD 40. Mais au fil des actes, cette peur a laissé la place à d’autres sentiments : la colère, la détermination face aux injustices commises par ce gouvernement (et les autres qui l’ont précédé), et la fraternité que je ressens pour mes camarades qui battent le pavé avec moi. Lors de cette première manif, j’ai ressenti une ambiance très conviviale, tout le monde se parlait, et ce quelque soit nos différences. Les slogans étaient originaux, drôles et nous donnaient de la force. Je pense bien-sûr à celui-ci : “Gilet Jaune quel est votre métier? Ahouu! Ahouu! Ahouu!” détourné du film 300. Il y a aussi la manière dont sont nommées ces manifestations, que l’on appelle “Acte”, et qui donnent vraiment l’impression d’être dans un film.

J’ai aussi croisé des amis avec qui je militais beaucoup les années passées. Venus de ces mouvements qui ont marqué Toulouse durant son histoire, et qui ont façonné quelques uns des traits de ses caractères : la tolérance, le refus de voir le fascisme s’implanter entre ses murs, et ce quelque soit sa forme. Connu aussi comme étant la ville rebelle chantée par Nougaro, avec ses influences jazz, et animé par le souvenir des réfugiés républicains espagnols arrivés dans la ville en 1936, fuyant le régime de Franco, ont laissé une trace indélébile dans la ville. Toutes ces influences n’ont pas manqué de déteindre sur le mouvement des gilets jaunes à Toulouse, et ont régulièrement contribué à faire de la ville l’un des bastions de la contestation.

Tout ceci m’a évidemment conforté dans l’idée de continuer à lutter dans le mouvement des gilets jaunes, qui, en plus, est apolitique et refuse d’être pris en main par les syndicats. Pourtant, malgré tout mon enthousiasme à aller manifester, chaque vendredi soir, je me sens stressé, tout comme les samedis matins où je vais faire une balade pour décompresser et me mettre dans les meilleurs conditions pour la manif, comme un boxeur avant son combat.

Car ces manifestations sont des moments particulièrement tendus et dangereux. Nombres de tirs de flashball, de grenades lacrymo ou de grenades de désencerclement m’ont raté de peu ou ont explosé près de moi. Sans compter les charges de la BAC dans des petites ruelles étroites alors que l’on ne voit même plus a un mètre de nous, tellement il y a du gaz lacrymogène. Mais aussi les envies de vomir chaque matin, les crampes au ventre à cause des effets de ce même gaz lacrymo et la rage que les CRS expriment à notre encontre, sans oublier aussi “les voltigeurs”, cette brigade de la BAC qui nous pourchasse à moto, et vise très souvent la tête avec leurs flashball. Une brigade théoriquement dissoute après que les coups de deux de ses agents avaient tué Malik Oussekine en 1987, lui aussi un jeune de quartier.

Malgré tous ces risques, je ne pourrais plus aujourd’hui m’absenter de ces manifestations, surtout quand je pense à celles et ceux qui ont été grièvement blessés, ne voient plus qu’avec un oeil, n’ont plus qu’une main. J’ai espoir que l’on va aboutir à quelque chose de grand, je suis fier de faire partie de ce mouvement et j’espère qu’entre temps, la santé de mes camarades, ainsi que la mienne, sera épargnée.

(1): au 20 juin, date de lancement du site Chouf Tolosa et de la publication de cet article, le journaliste David Dufresnes recensait, sur son dispositif “Allô place Beauvau? C’est pour un signalement”, “843 signalements, 1 décès, 308 blessures à la tête, 24 éborgné.es et 5 mains arrachées“, dans le cadre de la répression du mouvement des gilets jaunes.

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