Home Cultures Pourquoi les (bons) films de banlieue galèrent pour toucher le Fonds

Pourquoi les (bons) films de banlieue galèrent pour toucher le Fonds

by Mickaël

Le dispositif créé pour financer des projets cinématographiques liés à la banlieue et aux quartiers populaires utilise une critérisation très normative pour attribuer ses crédits. Qui, de fait, valorise un discours attendu sur la « diversité » en écartant des projets plus explicitement politiques et potentiellement clivant. Analyse.

Le « fonds images de la diversité », ainsi qu’a été rebaptisé en 2016 la commission Images de la diversité fondée en 2007, a pour objectif de soutenir la création et la diffusion d’œuvres donnant une représentation plus fidèle des quartiers populaires et de l’histoire de l’immigration. Ce fonds est composé de deux collèges rassemblant des personnalités principalement issues du monde du cinéma (Romain Gavras, Philippe Faucon, Alice Diop, etc.) et du journalisme (Edouard Zambeaux, Rachid Santaki, notamment). Doté d’un budget de 2,6 millions d’euros en 2016 alimenté par le Commissariat Général à l’égalité des territoires et le Centre National de la Cinématographie, le Fonds a financé plus d’une cinquantaine de projets en 2018 au titre de l’écriture, du développement, de la production et de la diffusion.

Le Fonds soutient des projets de formes différentes allant du documentaire au film d’animation et de différents formats allant du court au long métrage. Les films soutenus sont portés par des petites productions émergentes comme Bien ou Bien Production (producteur du 2ème court-métrage de Maïmouna Doucouré intitulé « Maman(s) », césar du court-métrage 2017) et par des productions plus importantes, avec des films plus grand public comme « La lutte des classes » de Michel Leclerc avec le duo Leila Bekhti/ Edouard Baer produit par Karé Production déjà producteur de « Le nom des gens » du même réalisateur.

Si, dans sa philosophie, ce fonds de soutien s’inscrit pleinement dans les fondements de la politique de la ville, c’est-à-dire sur une démarche intégrationniste, il n’en demeure pas moins une expérience de « positive action »  au sens anglo-saxon du terme. Sans pour autant échapper au paradoxe de ces nombreuses politiques publiques considérant les inégalités comme un simple dysfonctionnement du système républicain qui pourrait être annihilé par des actions correctrices spécifiques. Le droit commun ne s’applique plus et les politiques spécifiques deviennent la norme. Or l’image de la banlieue et de l’histoire de l’immigration ne pourront évoluer dans l’inconscient collectif que si l’institution publique permet l’émergence d’une autre image cinématographique de ces territoires et de ses habitants. Et si elle cesse de simplement mettre en avant certains de ses protagonistes, sans jamais réellement questionner les racines profondes des discriminations systémiques.

Cette approche politique crée de fait une nouvelle hiérarchie mais cette fois-ci entre les auteurs, les réalisateurs, les sociétés de production et plus largement entre ceux qui peuvent avoir accès aux financements et ceux qui ne peuvent y prétendre. Car la réforme de 2016 n’a pas seulement entraîné un changement de nom. Elle a, d’une part, renforcé le processus d’accompagnement et, d’autre part, posé de nouvelles conditions d’éligibilité qui ont amené la commission à s’aligner sur les critères en vigueur dans la plupart des institutions qui financent le cinéma français. A savoir que les projets doivent être portés par des sociétés de production ayant bénéficié, pour le projet concerné, d’une aide de l’un des organismes financeurs du cinéma (CNC, Conseils régionaux).  Ce qui restreint considérablement le cadre d’accès aux aides, notamment pour les réalisateurs issus des quartiers populaires, ne disposant pas du soutien ou des conditions requises.

L’appui sur des structures ayant déjà compris et assimilé les rouages du système de production cinématographique et en ayant déjà tiré un soutien financier devient ainsi un passage obligé. Un choix susceptible de bloquer de nombreux réalisateurs, dont ceux issus des quartiers populaires qui souhaitent participer pleinement à ce débat sur l’image de la banlieue à travers leur point de vue créatif et artistique. Cette critérisation normative facilite de facto le financement des productions ayant pignon sur rue et dont le contenu est construit sur une vision fantasmée de la banlieue ou de la « diversité ». Des films qui ont pour unique objectif une diffusion très large et ne servent bien souvent qu’à enraciner encore plus les stéréotypes déjà trop présents. Ainsi, la réussite d’oeuvres comme « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?» n’est pas anodine (12 080 541 d’entrées en 2014). Ce film s’inscrit dans cette démarche intégrationniste où l’antiracisme moral diffusé par l’humour serait la clé de la disparition d’un système de domination perdurant depuis des décennies. Il met à l’écart un cinéma plus subversif traitant des sujets qui préoccupent réellement les quartiers populaires tels que les violences policières (remises à l’ordre du jour de l’agenda cinématographique avec « Les misérables » de Ladj Ly, voir notre critique du film par Khadija), l’explosion du trafic de drogue, le chômage des jeunes, les luttes pour des logements décents, la disparition des services publics et l’accès aux droits.  

Par ailleurs, ces critères de sélection ne reposent pas exclusivement sur la qualité scénaristique. Ainsi, le chanteur Kery James, dont le scénario a été récompensé à plusieurs reprises, n’a pu trouver le soutien nécessaire via les réseaux classiques de financements. Pourtant, comme il nous l’avait expliqué lors de son passage à Toulouse cet hiver, « les garanties étaient là puisque j’ai déjà mon passé d’artiste, de la notoriété, un scénario finaliste du prix du scénario en 2016 et qui a gagné le prix Beaumarchais et un public pour voir le film ». Selon le chanteur, « les raisons du refus restent floues » et reposent sur le fait que « le cinéma est un milieu fermé avec des gens qui se connaissent ». Ce difficile accès a également été critiqué par le producteur/réalisateur Alain “Biff” Etoundi et son court métrage coup de poing « Allez tous vous faire enfilmer » sorti en 2017 et mettant en avant l’entre-soi du cinéma français et la mise à l’écart de sujets de fonds traités par des artistes des quartiers populaires.

La question des contenus des films aidés est ainsi posée. La difficulté d’accès aux financements de droit commun oriente les auteurs des banlieues vers des commissions qui les inscrive automatiquement dans cette notion très large et fourre-tout de « diversité ». Soit une injonction, consciente ou inconsciente à ce que les artistes issus des banlieues ou plus largement des territoires politique de la ville (puisqu’y sont intégrées depuis quelques années des zones rurales) abordent un thème lié à la « diversité ». La transformation d’une image doit donc passer par une thématique dans laquelle l’auteur est attendu et non nécessairement où il souhaite se placer.

Ce système très contraignant et sélectif oblige aujourd’hui de nombreux auteurs des quartiers populaires à se tourner vers des financements alternatifs comme les financements participatifs ou vers les plateformes hégémoniques de diffusion telles que Netflix (comme c’est le cas pour Kery James) ou Amazon. A court terme, cela assure une diffusion large de ces films mais le cinéma français n’y est pas gagnant sur le long terme. Les notions économiques et financières qui dirigent le fonctionnement de ces plateformes ne privilégient pas, en effet, la qualité artistique et cinématographique. Il s’agit d’abord pour elles d’aller vite et d’alimenter leurs plateformes en permanence avec un renouvellement constant des contenus. Or, le cinéma est un art qui nécessite des heures de réflexion, de doute, de remise en question, d’écriture, de tournage, de montage et de diffusion. Et le diktat du temps ne permet pas, à travers une œuvre, d’amener une réflexion collective et déconstructive sur des problèmes qui puisent leurs racines au plus profond de notre société. La logique de contenus visuels comme produit de consommation reste difficilement compatible avec l’art.

Mais il n’y a rien de rédhibitoire et la voix du cinéma indépendant reste toujours d’actualité. Aux Etats-Unis, le cinéma n’est pas subventionné et de nombreux auteurs rencontrent de grandes difficultés pour financer leur film. Certains ont donc choisi de tourner des films à petit budget (avec peu de lumière, une petite équipe technique…) mais de tourner coûte que coûte. Il en sort des films de qualité traitant par exemple des conditions des noirs américains comme le premier film de Boots Riley « Sorry to brother you » doté d’un budget de 3 200 000 dollars (le budget moyen d’un blockbuster aux Etats-Unis est évalué entre 200 et 300 millions de dollars) ou encore le remuant « Blindspotting » de Carlos López Estrada.

Le cinéma français dispose également de ce potentiel et à une moindre échelle a déjà des expériences réussies de réalisation à très petit budget comme le film « Des Figues en avril » de Nadir Dendoune autoproduit et dressant le portait de sa mère dans un documentaire intime. Le film « Caïd » réalisé par Ange Basterga et Nicolas Lopez, lui aussi autoproduit et réalisé en  sept jours avec des habitants des quartiers nord de Marseille a remporté en 2017 le grand prix du film de long métrage du festival du film policier de Cognac. A ces exemples s’ajoutent la nouvelle génération de réalisateurs comme Djigui Diarra (« Malgré eux »), Sofiane Halis (« Deglet nour »), Achraf Ajraoui (« La hchouma ») ou encore Fanny Liatard et Jeremy Trouilh (« Gargarine » ou « Chien bleu »). Autant de jeunes auteurs et auteures qui frappent à la porte avec des projets dévoilant le vaste champ des possibles du cinéma de banlieue et faisant souffler un vent d’espoir et de fraîcheur sur l’avenir.  

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