Home Cultures Ou comment j’ai passé ma soirée avec « Les Misérables » de Ladj Ly

Ou comment j’ai passé ma soirée avec « Les Misérables » de Ladj Ly

by Khadija

« Les misérables », le dernier « film de banlieue » très attendu du réalisateur Ladj Ly était projeté en avant-première mercredi 2 octobre à Toulouse. Et dans la salle, il y avait Khadija, de Chouf Tolosa. Compte-rendu de projection en mode récit personnel.

L’équipe du film “Les misérables” devant le public toulousain lors de la projection en avant-première du 2 octobre (© Chouf Tolosa)

Pour être honnête, je n’ai réellement appris l’existence de ce film que très peu de temps avant de savoir qu’il y avait cette avant-première, en présence de l’équipe à Toulouse. Avant ça, j’avais seulement vu l’affiche passer : rien d’extraordinaire, je pensais qu’il s’agissait d’un film sur les Gilets Jaunes…

Pour que j’aille voir un film, seule, au dernier moment, il me faut de solides arguments. Et là des arguments de poids, il y en a, et pas qu’un peu : prix du jury au dernier festival de Cannes ; digne successeur de « La Haine » de Mathieu Kassovitz (lui-même prix de la mise en scène à Cannes en 1995) ; désigné pour représenter la France aux Oscars ; et puis surtout une réadaptation moderne du roman de Victor Hugo Les Misérables… Ce dernier argument a su toucher mon âme de littéraire et de cinéphile à la fois : tout me poussait à aller y jeter un coup d’œil.

Le lendemain après-midi, je réserve ma place, et après ma sortie du travail, direction l’avant-première. Dans la salle, le public est très diversifié, ça fait plaisir, les jeunes des cités ont fait le déplacement pour l’occasion. Une rencontre inspirante pour une partie du public qui va pouvoir échanger avec une équipe de film qui vient du même milieu. Habituée des salles obscures, je sais que c’est rare de voir autant de diversité… Les lumières s’éteignent, le silence se fait. Que le spectacle commence.

Je pose le décor : des gamins, une équipe de la BAC avec sa nouvelle recrue qui vient de la campagne, la banlieue de Montfermeil, la misère sociale, un lionceau (vous comprendrez si vous allez voir le film), une bavure policière, un drone… J’en ai déjà trop dit, peut-être ?

Niveau esthétique le film est bien, mais sans plus. Un décor urbain, des blocs, des immeubles délabrés… Clairement, ce film mérite plus d’être vu pour son scénario et sa mise-en-scène que pour son côté esthétique. De ce côté là, rien d’exceptionnel, même si le réalisateur a « fait le taff » et que certains plans valent quand même le détour.

Concernant la narration, le sujet n’est pas super drôle, bien que dans les premiers moments du film l’humour est quand même distillé par-ci par-là avec, notamment, des blagues parfois un peu douteuses de l’un des policiers, un véritable cliché du macho de base, à la limite du racisme.

Ce long-métrage n’est pas destiné à mettre en avant la dureté de la police. L’idée, comme le précisera le réalisateur Ladj Ly à la fin de la séance, est de montrer qu’il y a du bon et du mauvais partout. À l’image du roman de Victor Hugo, il n’y a pas de parti pris. Ce film montre l’humain dans toute sa bonté, mais aussi dans son côté violent, on oublie l’idée manichéenne des méchants flics et des gentils civils. Ici on pose les choses comme elles sont. La misère entraîne la violence, c’est la réalité du terrain et ce long métrage la décrit à merveille.

On perçoit aussi une certaine ironie, puisque la précarité dans laquelle les gens des cités vivent, va contribuer à mettre la police dans une impasse, à plusieurs niveaux. Je pense, entre autres, à un moment particulier de l’histoire où la rénovation des locaux aurait pu éviter aux policiers d’être dans une situation difficile. Plus qu’un détail du film, ce moment a son importance en montrant le milieu de vie délabré dans lequel vivent les gens des cités. Ce sont les laissés-pour-compte de la société.

Autre question soulevée par ce film, celle de la place de l’enfance dans les quartiers défavorisés. Certains sont parfois abandonnés à leur propre sort (les parents ne savent même pas où ils sont) et tout de suite confrontés à une violence sous-jacente que les adultes essaient, tant bien que mal, de maîtriser et de cacher. Mais les enfants ressentent tout ça, l’absorbent et en viennent à rejeter toute forme d’autorité, quelle qu’en soit la figure, car ils pensent n’avoir personne de confiance vers qui se tourner et finissent par semer le chaos dans le quartier.

La fin du film est majestueuse, à la fois palpitante et oppressante car on se retrouve à bout de souffle tiraillé entre deux camps. Avec un terrible dernier plan qui peut être le présage d’un avenir où subsiste une lueur d’espoir… comme celui d’un avenir très sombre.

Après un tel film, la question qui brûlait les lèvres de l’assistance était : y aura-t-il (ou y-a-t-il eu) un retour au niveau politique ? Une demande de rendez-vous a été demandée au président français. Monsieur Macron a proposé une projection à l’Élysée mais cette proposition a été déclinée par Ladj Ly,qui a demandé au chef d’État de se déplacer pour une projection dans la cité où le réalisateur a grandi. Pour le moment, pas de réponse.

« Les Misérables », une affaire à suivre donc. Tant au niveau politique en France qu’au niveau de l’accueil du film outre-Atlantique pour la cérémonie des Oscars, prévue le 9 février prochain.

En attendant, rendez-vous dans les salles le 20 novembre pour la sortie nationale du film.

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