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Quartier, médias et coup de projecteur, chronique d’un casting à la Reynerie

by DEFI Production

Le 29 Janvier dernier, l’association DEFI Production a accueilli un casting dans ses locaux à la Reynerie. Informées notamment par un article paru la veille sur un site d’information de la presse locale, plus de 600 personnes se sont rendues sur place, prêtes à monter sur les planches. Un afflux qui n’est pas passée inaperçu dans le quotidien des habitant(e)s et des acteurs du quartier. Retour sur cet épisode survenu au cœur de la barre de Varese, mise tout d’un coup sous les projecteurs.

Une file d’attente inhabituelle au pied de la barre de Varese, à la Reynerie, le 29 janvier.

Bienvenue à Varese, première barre de bâtiment qu’on aperçoit depuis « le rond point de la Reynerie » quand on arrive du côté du Mirail. Varese est, comme toutes les autres barres, une barre particulière… Et dans ce monde là, plusieurs se côtoient.

A Varese, il y a d’abord ses habitants, parfois là, en famille, depuis plusieurs générations. On y trouve les locaux de Générations Réunies, une association que côtoient beaucoup les plus anciens du quartier. En haut, la colocation des Kapseurs, l’AFEV y développe un projet d’accès au logement des étudiants en contrepartie d’une implication dans la vie de quartier. En bas d’immeuble, les gars du 3, un block devant lequel c’est l’habitude des jeunes du coin de se réunir, et « la Mosquée de Varese ». Ici, on l’appelle comme ça, mais dans les institutions on préfère « salle de culte », ou « de prière ». Les locaux sont petits mais ça n’a pas l’air de vraiment déranger les gens quand ils sont là, en nombre, pour y prier tous les vendredis. De l’autre côté de cette barre, le Point information jeunesse (PIJ) du Mirail, Audrey et son équipe, les reines des CV et ça dans plusieurs des quartiers de la ville.

Enfin, et c’est souvent par là que les médias commencent, Varese, c’est aussi ce qu’on appelle un « four » : un de ces lieux où le trafic de drogue s’est organisé, venant percuter le quotidien des habitants. Varese a été précurseur dans le développement de son poste de deal et ce dans beaucoup de domaines. C’est notamment un des premiers postes à Toulouse a avoir organisé sa propre communication. Depuis plusieurs années maintenant, c’est un endroit repéré pour son activité. Les guetteurs (les “choufs”), transactions et descentes de force de l’ordre sont devenus des habitudes et font partie intégrante du paysage de ses habitant(e)s.

Depuis septembre, l’association D.E.F.I Production (pour Dire, Ecrire, Filmer, Imaginer) – « DEFI Prod » comme on l’appelle – s’est aussi installée en bas d’immeuble à Varese (lire notre encadré).

Leçon n°1 : à chacun sa façon de communiquer

Quand on a été contacté en début d’année scolaire par BusFilms, une société de production qui cherchait des lieux dans les quartiers populaires de Toulouse pour y faire un casting pour un prochain film avec Laetitia Casta, il nous a semblé que c’était une occasion en or à offrir aux habitant(e)s. Pouvoir tenter sa chance sur un film professionnel, quelqu’en soit l’issue, serait pour toutes et tous une expérience de plus, peu banale et rémunérée. Le titre du film, « Selon la Police », nous a interpellé : on n’aborde pas ces thèmes ici comme on les aborde ailleurs. Mais on a voulu tenté le pari, en misant sur l’opportunité offerte aux habitants par cette expérience nouvelle.

Le premier casting fin septembre, s’est très bien passé. C’était pour un petit rôle, le profil recherché était plutôt ciblé, on avait communiqué sur notre facebook et relayé l’information dans notre réseau du quartier. Avec succès puisque la pub pour le casting a même tourné sur les snaps (le réseau social Snapchat) de plusieurs des fours du quartier…

Certains n’en seraient pas fiers. Nous, on en a une vision différente. Les problématiques liées aux fours on les connait, on les vit tous les jours. Et c’est aussi le quotidien de beaucoup de jeunes en errance, dans des situations extrêmement difficiles sur nos quartiers. Le cœur de notre travail, c’est de leur donner une possibilité d’accès à quelque chose d’autre, d’ouvrir le champ de leur possibles. Notre façon à nous de leur dire qu’ils sont capables de beaucoup d’autres choses et que la porte de l’association leur sera toujours ouverte pour ça. Et le four, acteur de prévention d’un jour, qui le relaie lui même.

Lecon n°2 : vaut mieux être réactif avec les médias…

Grace à ces relais, on a accueilli une petite vingtaine de jeunes. Tous là pour des raisons différentes, venus des quatre coins de la ville (Colomiers, les Izards, centre-ville, Bellefontaine…), parfois inconnus les uns des autres, ou ayant même du passif entre eux. Mais on les a vu travailler ensemble et prendre un cour de théâtre avec l’équipe de casteurs. C’était loufoque. Là aussi, de nouveaux mondes se confrontaient : celui du cinéma parisien (Ah Paris !, Ah la capitale !…) et puis celui des vrais petits gars bien de chez nous. Et on s’est régalé à regarder ça toute l’après-midi, et à essayer de convaincre les choufs de venir le tenter. Ils ont dit « peut être plus tard si c’est pas fini », eux qui ne voulaient ou ne pouvaient pas lâcher leur poste.

Bref, une première expérience positive. Du coup, quand on a été sollicité en janvier pour accueillir le deuxième casting, pour de la figuration, rémunérée aussi, on a pas hésité. On a relayé, comme d’habitude l’information sur les réseaux sociaux, et par nos petits circuits habituels. Mais la veille du casting, quelque chose d’imprévu s’est produit…

Le 28 janvier au matin, le directeur de l’association reçoit le mail d’un journaliste du quotidien local Actu Toulouse, souhaitant le contacter à propos du casting. De notre côté, nous ne tenons pas à communiquer, puisque notre but est d’en favoriser l’accès aux habitant(e)s du quartier. Pas de raisons, donc, de faire plus de pub que l’on en a déjà fait. On décide de ne pas donner suite.

Mais à 19h32, le jour même, le site de ce journal publie un article annonçant le casting. Son auteur n’ayant pas pu s’entretenir avec le directeur de DEFI Prod, l’article contient quelque informations erronées, notamment une sur la présidence de l’association…

Leçon n° 3: toujours envisager que la maîtrise de la communication nous échappe

Sur le moment, on ne panique pas encore, cela nous fait même plutôt marrer de se retrouver d’un coup comme ça sous les projecteurs des médias locaux… Mais nos têtes commencent à changer une heure avant le casting, quand beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde commence à arriver dans les locaux de l’association. En quelques minutes, une queue immense envahit Varèse, interpellant tous les acteurs du quartier.

A 15h30, ils sont 250, selon La Dépêche du Midi à être passés et une file d’attente plus longue encore attend encore le long des grilles des travaux en cours dans le quartier dans le cadre du Grand projet de vile (GPV).

A Varese, les habitué(e)s du coin s’interrogent sur ce qui est en train de se passer. La barre est envahie, et si on a l’habitude de voir régulièrement des files d’attente quand le four n’est pas encore approvisionné, on n’en a jamais vu une pareille ! Même les choufs, depuis la coursive, filment la scène avec interrogations.

Face à l’ampleur de l’évènement, l’équipe de DEFI Prod est sur le pont et s’organise comme elle le peut… Et tout au long de l’après-midi, des habitant(e)s ou adhérent(e)s, les habitués de coin, passés par là pour l’occasion, prêtent naturellement main forte, se transformant pour un jour en assistant(e)s de casting, agent de sécurité, médiateurs… A chaque heure de prière, l’adhan de la mosquée résonne entre les murs du bâtiment, et, à chaque fois, on lit l’étonnement sur les visages de certains qui eux, ne sont pas des habitués du coin.

Idem quand survient la descente policière de l’après-midi. En même temps qu’elles patientent dans la file d’attente, les personnes venues pour le casting assistent au film quotidien de la provocation et de la course-poursuite entre l’équipe du commissariat de secteur et les jeunes guetteurs.

Lecon n°4 : on réussit des trucs de fou quand on les fait tous ensemble !

Après ce moment de pression, une femme tient des propos limites envers une salariée de l’association, laissant comprendre à demi-mots que, pour elle, le fait de porter le voile et d’être dans l’organisation d’un casting ne sont pas compatible. Elle ne passera pas le casting.

L’équipe élargie assure et assume jusqu’à presque 19h, l’heure du débriefing de la journée la plus dingue que notre jeune association ait jamais connue : plus de 600 personnes à Varese ; tout le monde mobilisé ensemble avec à cœur de faire que tout se passe bien ; un environnement bienveillant, malgré les dérangements, les envahissements ; tous ces gens pour qui c’était la première fois ; et puis Fatime, la stagiaire, qui a validé avec brio les compétences « gestion de crise » et « maîtrise des risques »… Si on avait prévu tout ça, on ne l’aurait jamais tenté.

On nous sortira plus tard: «  On avait jamais eu autant de « Français »* à la Reynerie », entendez simplement gens venus de l’extérieur. C’est pas faux, jamais on avait accueilli spontanément autant de monde de l’extérieur à la Reynerie, et la réussite de ce moment, on ne la doit qu’à l’implication bénévole de chacun, la bienveillance des habitant(e)s, des jeunes du four, et plus largement de tous les acteurs de Varese et de la Reynerie, qui sans avoir le temps de se consulter, en réaction cette après-midi là, avaient tous à cœur que ça se passe bien.

Lecon numéro 5 : On peut faire ce qu’on veut d’une image

Ce gif prenant un casting pour un “four” a beaucoup tourné sur snapchat…

Le soir venu, on découvre sur un compte de Snapchat très connu et suivi en France, la vidéo prise par les choufs, qui filmaient la file d’attente, avec en fond une chanson du rapeur Fianso « Wesh les yankee ». Le détenteur du compte snap qui le relaye, ajoute cette mention : « ça débite fort à Toulouse ». Ou l’apologie du four, en se servant de nos images. Soit, en temps réel, une petite leçon d’éducation aux médias et à l’image.

On a envoyé une rectification, bien sûr. La présidente a écrit au détenteur du compte, lui expliquant qu’il relayait de l’intox, puisque c’était pour un casting que tout le monde était là. Elle lui a expliqué le projet de l’association et lui a proposé de lui envoyer les teasers des courts-métrages des jeunes pour qu’il les diffuse. Il s’agit d’une personne avec plus d’un millions d’abonnés.

Pas de réponse. Mais le lendemain, on sera informé par Bouchera, une jeune de la Reynerie, du fait qu’elle lui a fait rétablir la vérité et qu’il a publié l’article sur le casting sorti le lendemain dans La Dêpêche du Midi.

Lecon numéro 6 : tout le monde se sert de la communication à sa façon ; maîtriser la sienne, c’est éviter de se mettre en danger

Au final, la séquence a entraîné pas mal de réactions des uns et des autres, faisant comme corps pour défendre les intérêts, de ce bien qu’ils ont en commun, leur quartier. Le four, lui, s’est servi de l’image pour servir sa communication. C’est de bonne guerre, on avait investi leur décors. Du coup, on continuera de titiller leur fibre d’acteurs. Quant au journal, il avait sûrement une page à remplir et de bonnes intentions en terme d’accès à l’information… Mais le fait de ne pas avoir échangé avec nous sur le contexte du casting avant de relayer l’information dans ses colonnes a rendu la situation périlleuse et relativement complexe à gérer sur place.

L’après-coup

On a beaucoup ri, parce que le contexte était inédit. On a fait venir venir un casting pour le quartier, et toute la ville s’est pointée. On partait sur une équipe de deux au départ pour gérer, on s’est retrouvé avec tout le bâtiment et le quartier mobilisé en plus. Certains organisaient un casting, d’autres faisait des descentes, on était en plein dans le thème… Tout le 7ème art, un vrai film, et pour le coup, pas de la science-fiction.

DEFI Production a pour projet associatif de faciliter la création culturelle et artistique des habitants en animant la vie sociale de leur quartier. L’équipe anime un pôle cinéma, au sein duquel elle œuvre à rendre accessible, à des jeunes et moins jeunes, passionnés ou initiés, les métiers du 7ème art et ses techniques. L’association développe également des actions de médias de proximité, auquel participent les habitant(e)s du quartier, ce qui leur permet de participer à donner une image plus juste, de ses réalités. Pour en savoir plus : le site de DEFI Production.

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