Depuis le printemps 2022, les Ateliers de Chouf Tolosa accompagne des élèves du lycée Gisèle Halimi-Joséphine Baker (ex Rive gauche), au Mirail, dans la réalisation d’un journal-école (voir ici). En 2023, nous avons poursuivi ce travail avec les étudiants du BTS communication de l’établissement. Un troisième numéro du Chromatique a été réalisé à cette occasion, centré sur la résistance et le cinéma. Portraits de toulousain·es engagé·es, critiques ou analyses de films, Chouf Tolosa publie quelques-uns de ces articles sur son site.
Dans celui-ci, Asala Lakhdar Barka, Yacine Oulad et Lotfy Bouziane se penchent sur la façon dont le réalisateur américain Brian de Palma a traité des rapports de classes à travers les thèmes de la manipulation et de l’ascension sociale par le crime dans deux films-culte : “Blow out” et “Scarface”.
John Travolta, tête d’affiche de “Blow out” sorti en 1981 (DR).
Blow Out est un thriller psychologique de Brian De Palma dans lequel Jack, un ingénieur du son interprété par John Travolta, enregistre un soir des ambiances pour les besoins d’un film et capture un accident de voiture dans laquelle se trouvait un candidat aux élections présidentielles. Jack est convaincu d’un complot politique. Il plonge dans le lac pour venir en aide aux victimes de l’accident et parvient uniquement à sauver la jeune femme, Sally, présente dans cette voiture. Convaincu qu’il s’agit d’un meurtre planifié, Jack mène une enquête et s’engage dans un jeu dangereux où sa vie ainsi que celle de Sally sont menacées.
Blow Out : mise en scène d’un complot d’État
De manière très subtile, De Palma traite le complot, la manipulation, l’injustice et le pouvoir du plus fort. On le remarque dans plusieurs scènes du film. Ainsi, quand Jack témoigne, lors d’un interrogatoire, avec un policier manipulateur qui l’incite à mentir : le dialogue tourne court. Plus tard, Jack se voit suggérer par les membres du gouvernement de “tout oublier” de l’accident, et de ne pas en parler afin de ne pas nuire à la réputation du gouverneur. Ce thème de la manipulation, traité par De Palma, est aussi présent quand les membres du gouvernement proposent de l’argent à Sally pour qu’elle déménage, change de ville, disparaisse et se taise.
Jack : un personnage au risque de la vérité
Malgré tous les obstacles qu’il rencontre, Jack lutte pour faire éclater les mensonges et les manipulations, et utilise les preuves sonores qu’il a enregistrées pour suivre sa quête. On le voit donc dans une scène, très intense, écouter l’enregistrement de l’accident, travailler la bande, l’améliorer pour mieux refléter la réalité, superposant les sons à une suite de photographies saisies le même jour, créant ainsi une séquence du drame. Jack crée une preuve visuelle et sonore contre ceux qui le censurent et le privent de sa liberté d’expression. Le montage/mixage permet de révéler la vérité. Comme son personnage Jack, Brian De Palma a recours au montage et notamment aux screen-split (division de l’écran pour montrer plusieurs images simultanément) : le réalisateur et le personnage construisent l’image pour la rendre parlante. Quand Jack tente de diffuser l’enregistrement, il reste seul : aucun journaliste ne le croit. Finalement, Jack est victime de la mise à sac de son studio d’enregistrement : les bandes sont saccagées, la vérité étouffée.
Brian De Palma parvient, par le montage des plans, le cadrage et la bande-son, à créer une atmosphère de tension et à transmettre les émotions des personnages (la peur, la frustration, l’inquiétude). Il met en lumière l’importance de la vérité en politique et démontre que le pouvoir est souvent utilisé pour dissimuler des crimes et condamner des innocents. Ainsi, il fait réfléchir ses spectateurs et les garde éveillés.
Scarface et la mise en question du rêve américain
Brian de Palma montre aussi son engagement politique et social dans Scarface (1983). Le film raconte l’histoire de Tony Montana, un immigré cubain des années 80 qui arrive à Miami pour vivre le rêve américain, comme il le dit lors de la récupération de son visa auprès de la douane : il croit en “la vie de rêve”. De tels aphorismes sont nombreux dans ce long-métrage, ils marquent les esprits, fascinent. En effet, les dialogues des films de Brian de Palma ont traversé les époques et les parodies sont nombreuses depuis 1983, notamment dans le rap. Dans le film Scarface, la réussite mafieuse du héros est immédiatement suivie d’une descente aux enfers : le héros se heurte à des difficultés avec son banquier qui a du mal à blanchir l’argent, avec sa femme lasse de l’entendre parler affaires, avec la police qui l’attrape suite à une mission ratée. Tony se drogue, il tue son ami, sa sœur meurt. Il connaît une fin tragique. Après l’ascension, c’est la chute.
Dans ce film, Brian de Palma montre et explique les dérives du rêve américain, du danger de vendre de la drogue, du fait que l’argent divise et que l’on finit toujours par payer du mal que l’on fait. Tony Montana n’est pas un exemple à suivre. Brian de Palma montre aussi la difficulté de “réussir” quand on est issu de l’immigration ; ainsi, au début du film, Tony galère avec son meilleur ami dans un fast-food, les conditions sont déplorables, Tony s’agace et prononce cette célèbre phrase, devenue culte elle aussi : “j’ai les mains faites pour l’or, elles sont dans la merde”. Les métaphores disent que, quand on est en bas de l’échelle, on peut trouver des emplois honnêtes (mais ingrats), mais qu’il est difficile de s’enrichir et de s’élever socialement. En extrapolant, on peut aussi comprendre que les immigrés ne sont pas considérés dans la société.
[article écrit le 04 avril 2023 par Asala LAKHDAR BARKA, Yacine OULAD et Lotfy BOUZIANE]