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Pourquoi j’ai regardé « Hold-up »

by Camille Montalan
Dès sa sortie le 11 novembre, le documentaire, clairement conspirationniste, a suscité la polémique (capture d’écran).

Le documentaire « Hold-up, retour sur un chaos » sorti le 11 novembre sur les plateformes en ligne propose une approche conspirationniste de la pandémie du Covid-19. Comme beaucoup, j’ai été questionné sur ce film qui fait le « buzz » du moment et compte de nombreux défenseurs. Je n’avais pas très envie de passer 2 heures 43 minutes de ma vie sur ce type de produit mais j’ai pris mon courage à deux mains. Et je ne le regrette pas. Car cela nous apprend des choses : pas sur la crise elle-même mais bien sur le travail à mener demain en matière d’analyse de l’image.  

Cet article n’a pas vocation à traiter le fond de la pensée de « Hold-up ». Ce documentaire contient sûrement des vérités et des choses intéressantes, comme on me l’a fait remarquer. Mais je ne suis pas en mesure aujourd’hui de porter une analyse médicale et seul le temps nous permettra d’avoir du recul et une analyse complète sur cette année 2020 exceptionnelle. On ne peut en vouloir à ceux qui souhaitent chercher des explications d’avoir recours à la critique permanente car on vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête depuis le début d’année. La culpabilisation, les règles drastiques, le sentiment de vivre avec la mort, ne peuvent que nous pousser à chercher une échappatoire intellectuelle et morale pour faire face à cette crise. Ce film montre combien cela peut nous mener sur des terrains glissants…

Le débat et la confrontation d’idées ont toute leur place sur ce sujet. Mais de par mon métier et mes centres d’intérêts*, je suis plus en mesure de porter une analyse sur la forme. Ce qui m’intéresse particulièrement dans ce type de sujet n’est pas tant la vérité des propos tenus que la cohérence et l’honnêteté intellectuelle des auteurs. Or, celle-ci est absente du documentaire et c’est bien là tout le problème. Je ne remets pas en doute la sincérité du réalisateur qui croit surement à la thèse défendue mais le choix de l’outil et de sa construction est plus que douteux.  On ne peut prétendre être « anti système » et révéler l’organisation d’un complot mondial, tout en utilisant dans les moindres détails tous les procédés de manipulation cognitive qu’utilisent les mass-médias que l’on dénonce.

“Nous contre eux”: le même procédé que “Je suis Charlie”…

La mise en scène en mode artillerie lourde de “Hold-up” (capture d’écran)

Plusieurs éléments narratifs et de montage structurent le film « Hold-up ». Le premier est que le réalisateur part du principe que quand on réfléchit, on peut tout savoir avec un peu de jugeote. La voix off vient exposer ce parti pris avec par exemple cette remarque sur Bill Gates : « Moi ça me fait peur, un informaticien qui veut vacciner le monde ». Et effectivement il y a de quoi avoir peur. Comme il y a de quoi avoir peur que n’importe qui porte une analyse médicale sur une épidémie mondiale alors qu’il n’a aucune compétence en la matière. Mais cette voix off permet une orientation du point de vue du spectateur afin de l’amener sur le deuxième pilier du documentaire : la pensée binaire. C’est nous contre eux. Ceux qui complotent contre ceux qui se réveillent – et non pas les riches contre les pauvres, ce qui aurait été plus intéressant dans l’analyse mais cet antagonisme est sciemment exclu du film, comme toute véritable analyse en termes de politiques publiques, j’y reviendrai plus loin. Il faut donc être soit pour, soit contre. Pas d’alternatives, pas d’autres mode de pensée. Ceci est cristallisé dans le débat entre pro et anti hydro chloroquine, à travers la défense ou non du professeur Raoult. Le film nous enferme d’entrée dans un choix à faire entre deux pensées, et cela en ne cessant de critiquer la pensée unique. Cela ne vous rappelle rien ? C’est exactement les mêmes procédés que ceux utilisés lors des débats organisés sur les grandes chaînes entre les « Je suis Charlie » et les « Je ne suis pas Charlie ».

Pour faire passer sa thèse, l’artillerie lourde en matière d’audiovisuel a été sortie : interviews sur fond noir, musique cinématique de films fantastiques où nous avons l’impression d’être Aragorn dans les plaines du Rohan (l’homme parti courir après le premier confinement pour symboliser la liberté, au ralenti avec une musique émotionnelle), effets visuels (le feu qui brûle le rapport) et artifices divers (terre qui tourne, slow motion ou timelapse). Le tout ajouté à la voix off donnant un point de vue, aux documents affichés sans qu’on puisse en voir l’intégralité, à la très longue durée du reportage… Ces méthodes ne sont pas nouvelles. Dès les premières minutes, cela m’a rappelé un documentaire vu il y a quelques années, où le réalisateur défendait la thèse d’un alignement des pyramides de Gizeh en Egypte, du Machu Pichu au Pérou et de Stonehenge en Angleterre, ceci dans un but cosmique en utilisant exactement les mêmes outils et méthodes de montage.

Absence totale de contradiction

Mais l’élément le plus significatif de « Hold-up » est l’absence totale de contradiction. L’ensemble des discours proposés dans le film vont dans le même sens. Le réalisateur s’appuie sur la qualité professionnelle de l’intervenant pour donner du poids au discours sans qu’il y ait réellement de questionnement sur la valeur des propos tenus. Ces intervenants critiquent les médecins qui détiennent la vérité, faisant oublier qu’eux aussi sont médecins pour la plupart et que leur avis ne reste qu’un avis. On retrouve donc des intervenants défendants tous une même thèse, soit exactement ce que l’on peut voir (et que l’on critique à juste titre) sur les plateaux de Cnews ou de BFM… Cela influence directement notre manière de pensée. Par exemple, sur l’hydro chloroquine, les personnes interviewées nous expliquent qu’elle est déjà utilisée et que ce n’est pas dangereux. Ainsi on nous pousse à se construire une opinion « scientifique » seulement sur la base de trois propos répétés en boucle et d’une démonstration (rationnelle d’ailleurs) de l’illogisme du gouvernement sur la question. Plus insidieux, pour se rapprocher du spectateur et mieux faire passer la pilule, le réalisateur va rapidement intégrer quelques passages de « gens du peuple » (chauffeurs de taxis, parents d’élèves, sage-femme…). Cette technique, pas nouvelle non plus, est l’une des caractéristiques du populisme.

Un documentaire sans débat contradictoire (capture d’écran)

Les procédés rhétoriques viennent compléter cette absence de contradicteurs. La démonstration par l’exemple revient très souvent. Il s’agit de prendre un cas isolé et d’en faire une généralité comme l’école fermée à cause d’un cas positif. Des exemples sûrement réels mais quelle est leur valeur scientifique ? D’un cas, « Hold-up » fait une théorie. Mais quand le camp adverse utilise cette méthode, ça n’est plus crédible : par exemple, une personne critique le président du conseil scientifique Jean François Delfraissy qui affirme que cela va durer sans apporter d’élément médical pour justifier sa thèse.

Ceci nous amène à une autre base du documentaire : le confusianisme. Le réalisateur fait naviguer son film entre des éléments incontestables et d’autres beaucoup plus douteux. De quoi perturber le spectateur qui devient partisan du parti-pris sans s’en rendre compte. En effet, le réalisateur s’appuie sur l’incompétence du gouvernement dans sa gestion de crise. Et les éléments apportés sont très sérieux : l’enchaînement des prises de paroles publiques, avec le volteface sur la question des masques, la phrase de Agnès Buzin devant les parlementaires (« Il y a déjà trop de médicaments donc il ne vaut mieux pas en prendre »), les masques imposés aux enfants, les élections municipales maintenues…

Les affects deviennent des pensées

Des prises de position et des propos de la puissance publique qui, de fait, renforcent le sentiment d’être pris pour des ânes, et déstabilisent le spectateur qui se dit que le réalisateur a raison. La confusion s’ajoute à la confusion. Les affects deviennent des pensées. C’est là que cela devient dangereux pour l’esprit critique car derrière s’enchaînent des contradictions dans la logique du « plus c’est gros, plus ça passe ». Les exemples sont légions : le film montre des brevets de loin sans que cela soit lisible et des documents scientifiques en affirmant que l’on nous a menti mais dont il est impossible de comprendre le sens et ce qu’il est écrit dessus, à moins d’être médecin et doté d’une vue perçante. A l’inverse, il ne montre pas certains documents pourtant publics. Une séquence présente ainsi la thèse qu’un texte voté le 5 décembre 2019 au Parlement prévoit et rend légal le confinement bien avant sa mise en œuvre en mars 2020. Deux personnes sont interrogées, un avocat et une députée. Mais alors pourquoi ne pas montrer le texte comme le réalisateur a choisi de le faire régulièrement pour d’autres aspects de sa théorie ? S’il a été voté, il est public et donc accessible. Pourtant, étrangement,le réalisateur préfère s’arrêter et passer à un autre sujet.

Dénoncer les médias de masse tout en reprenant leurs méthodes (capture d’écran)

C’est là un autre procédé du documentaire : on passe du coq à l’âne. On survole. On avance des choses très graves sans en démontrer réellement l’existence. L’un des exemples les plus frappant est le passage sur la 5G. Une professeure de droit privé (dont on ne sait rien) explique que la 5G servira à terme à avoir le contrôle total des individus car des entreprises travaillent sur un système de puce qui limitera les déplacements en fonction des informations fournis par les individus. La question n’est pas d’abord de savoir si cela est vrai ou pas. Il y a suffisamment de folie, de désir totalitaire et de soif de contrôle chez l’homme pour que ce le soit un jour. Mais pourquoi, si une chose aussi dramatique pour l’humanité se profile, y consacrer seulement 5 minutes ? Et pourquoi seule une professeure de droit privé est-elle au courant ? On peut se poser la même question au sujet de ce médecin signalant que le virus vient de l’institut Pasteur et qu’il est, lui, au courant depuis 2015. Puis, circulez il n’y a rien à voir, on passe à un autre sujet. « Hold-up » est construit sur une multitude d’informations pour éviter d’avoir à les justifier dans leur intégralité. Le film assène des vérités pour empêcher la contradiction, sème le doute et oriente le débat. Il n’est plus à prouver que l’un des spécialistes de cette méthode n’est autre qu’Eric Zemmour… Et dans sa plus grande lâcheté, « Hold-up » se cache derrière la rhétorique grandissante du « on ne peut plus rien dire sinon on est qualifié de complotiste ». Soit exactement le même discours que Marine Le Pen ou Donald Trump… N’étant plus à une contradiction prêt, le film se termine avec un ex-chercheur affirmant que « les gens défendent mordicus des idées qui sont des dogmes qu’ils ne maîtrisent même pas ». Il explique par la suite que l’on ne peut pas douter du consensus scientifique, ce qui ne veut d’ailleurs rien dire selon lui. Cela pourrait être un argument intéressant si le documentaire ne reprenait pas exactement les mêmes positions avec le professeur Raoult et l’hydro chloroquine…

L’ absence d’analyse politique

Dernier élément sur lequel repose le documentaire : le recours à l’émotionnel et à ce qui touche au plus humain, notamment en utilisant des analogies douteuses. « Hold-up » s’appuie beaucoup sur une sage-femme qui offre une séquence émotion sur l’avenir de nos enfants. Mais surtout, elle parle des EPHAD (il y a apparemment des sages-femmes dans les EPHAD…). Le confinement est comparé à la prison pour les personnes âgées et à l’isolement. Avec beaucoup de pathos, elle explique que ceci est inhumain. On est dans le choc, dans l’émotion, comme… dans les reportages de BFM post-attentat par exemple. Et c’est là, peut-être, où le film est le plus décevant.

La promesse non tenue du film (capture d’écran)

Car il soulève des questions et aborde des points intéressants. Mais jamais sous l’angle d’une véritable analyse en termes de politiques publiques et de modèle de société. Oui, la gestion de la crise a été catastrophique et ceci est bien le fruit d’une destruction progressive de l’hôpital public (le nombre de places dans les hôpitaux n’est d’ailleurs quasiment pas abordé). Oui, les personnes âgées ont vécu deux mois d’isolement mais le fond du problème est sûrement la politique vieillesse et l’individualisme de nos sociétés qui ont favorisé le terrain à cet isolement des personnes âgées quand on ne sait plus quoi en faire. Oui, il y a de véritables problèmes éthiques quand la santé a pour cadre le capitalisme et que la vente de médicaments doit devenir rentable, facilitant les connivences entre le milieu médical et celui des affaires. Autant de questions sociales et politiques éclipsées pour des raisons de paresse intellectuelle et de « buzz » … La même logique que celle prévalant dans les médias de masse. Car la promotion de sortie du film a été bien préparée et cela n’a visiblement pas gêné le réalisateur de le diffuser d’abord sur youtube, propriété de Google et responsable de ce complot mondial avec d’autres.

Hasard du calendrier, le lendemain de ce visionnage, en allant au travail, j’entends Sébastien Chenu député et porte-parole du Rassemblement National, invité dans la matinale de France info. Il expose aux deux journalistes qui le reçoivent son point de vue sur le film en disant qu’il est favorable à certaines thèses. Un journaliste lui répond alors ironiquement, en substance « Vous ne croyez pas, alors, à la mort par accident de Lady Dy ? » Trop facile pour Sébastien Chenu qui enclenche un discours victimaire et se met à critiquer l’arrogance du journaliste.

C’est bien là une partie importante du problème: en faisant preuve de cette arrogance, le journaliste donne finalement du crédit à l’interviewé et rend audible son discours, car on ne peut être que d’accord avec la répartie de Sébastien Chenu – voilà à quoi on est réduit… -, qui critique la tour d’ivoire dans laquelle se cache les « grands » médias et le mépris de classe dans lequel ils s’enfoncent. Cela brouille les lignes à ne pas franchir. C’est exactement la même chose qui se produit avec l’incompétence du gouvernement dans la gestion du début de crise : cela donne du poids à « Hold-up », navigant entre vérités et mensonges.

Au final, je ne vois pas de différence entre être pris pour un idiot par l’intelligentsia médiatique ou par un réalisateur contestataire. Que Bill Gates soit à la tête d’un complot mondial, je n’en sais rien. Mais qu’on m’apporte des éléments honnêtes et sérieux pour me faire une idée.

*Camille Montalan est directeur de Defiprod, partenaire de Chouf Tolosa.

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