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A la découverte d’Illyes Ferfera

by Mehdi D.

Musicien jazz basé sur Toulouse, Ilyes Ferfera a fait parler de lui en 2024, avec le projet « Tawazûn ». Un premier album où l’artiste, à la tête d’un quartet, développe un syncrétisme musical nourrit de son héritage multiculturel. Il n’en fallait pas davantage pour susciter la curiosité de Chouf Tolosa. Portrait.

Le saxophoniste en son quartet sur la scène parisienne du Studio de l’Ermitage, le 19 juin dernier (photo: Franck Benedetto)

Après plusieurs années à peaufiner sa technique de musicien jazz dans différents groupes (voir encadré en fin d’article ), le saxophoniste Illyes Ferfera a officialisé cette année la sortie de son premier album, Tawazûn – qui signifie « l’équilibre », en langue arabe. Pour Chouf Tolosa, l’artiste franco-algérien, toujours plus ou moins un pied à Toulouse où il enseigne, a pris le temps de présenter cette œuvre qui retrace en partie son histoire de vie, ponctuée de rencontres inspirantes. Une histoire dont il n’a rien oublié, bien au contraire : toutes ces expériences vécues lui servent de force au quotidien, pour prendre son envol musical, loin des clichés.

Algérie Connexion

Né d’un père algérien et d’une mère française à la fin des années 1980, Illyes est arrivé en France à l’âge de sept ans, dans un contexte délicat.  Son pays natal subissait alors de plein fouet une guerre civile qui durera plus de 10 ans, période que l’on nomme aujourd’hui « la décennie noire ».

« Mon père était chercheur et professeur à l’université d’Alger et ma mère travaillait pour le centre culturel Français d’Alger (aujourd’hui « Institut Français d’Alger ») et donnait des cours de « Français langue étrangère » à des étudiants algériens, raconte le musicien. La situation politique dans le pays a obligé mes parents à faire des choix douloureux et drastiques, pour leur sécurité et celle de leurs enfants. Ma mère est rentrée dans sa région d’origine, les Landes, accompagnée de ma sœur et moi. Mon père est resté à son poste à l’université d’Alger. Il n’a pas voulu quitter son pays au moment où celui-ci avait justement besoin de toutes ses forces vives, et ce malgré le danger réel que cela représentait pour lui. Il venait très régulièrement nous retrouver en France. Et nous partions aussi, ma sœur, ma mère et moi, chaque été à Alger, retrouver mon père, notre famille algérienne, et le quartier. »

Illyes a pris du recul aujourd’hui, mais reste un fin connaisseur des dossiers majeurs de l’histoire algérienne.

Les forces et les racines de chacun

Satellisé dans les Landes avec sa grande sœur, Illyes découvre, enfant, l’autre pays dont il est en partie originaire, de par ses liens maternels. Au cœur d’une région à l’identité forte où nombreuses sont les fanfares et les bandas, il va trouver sa voie à travers la pratique des instruments à vents, et en particulier le saxophone dont il commence l’apprentissage à l’école de musique d’Aire-sur-l’Adour dès l’âge de huit ans.  

Grandissant à moins de 50 kilomètres de la ville gersoise de Marciac qui accueille chaque année l’un des plus importants festivals de jazz mondial, le jeune musicien s’intéresse au jazz américain de Charlie Parker, entre autres, tout en restant sensible à la poésie maghrébine. Il s’interroge constamment sur tout ce qui se passe autour de lui et cherche à développer un syncrétisme en se basant sur son propre héritage multiculturel.

« Après le bac, j’ai suivi les traces de ma sœur qui étudiait sur Toulouse, et je me suis inscrit en musicologie à l’université du Mirail », témoigne Illyes qui donne aujourd’hui des cours à l’Université Jean Jaurès, ex fac du Mirail, à des élèves qui suivent son ancien cursus. « J’y ai passé cinq années très enrichissantes, teintées de belles rencontres, poursuit-il. En parallèle, j’ai suivi un cursus d’études et obtenu mes diplômes au Conservatoire de Toulouse. J’ai enchaîné  sur Paris pour parfaire mon apprentissage musical dans un conservatoire. Je devais rester deux ans là-bas, mais finalement, à la fin de mes études, je suis resté. J’y ai vécu 11 ans au final ! J’ai pu y faire beaucoup de rencontres et participé à de nombreux projets musicaux très différents. J’ai aussi noué dans cette ville des amitiés fortes, notamment avec les trois musiciens qui m’accompagnent et jouent sur l’album Tawazûn. »

Illyes Ferfera Quartet. De gauche à droite : Tom Peyron, Simon Chivallon, Illyes Ferfera, Arthur Henn. (Crédits photos : Franck Benedetto)

En l’occurrence, Simon Chivallon (piano), Arthur Henn (contrebasse) et Tom Peyron (batterie), qui chacun dans leur registre, font partie de l’émergente scène « jazz » française. « Ils connaissent très bien mes attentes, mes sensibilités rythmiques. Nous sommes tous de multiples racines ; les échanges et la transmission sont au cœur du projet. 

Ensemble, ils reprennent le morceau de George Brassens : « Dans l’eau de la claire fontaine », qui vient s’intégrer à merveille dans le répertoire du quartet, constitué en majorité de compositions originales d’Illyes Ferfera. Le projet Tawazûn contient d’ailleurs une piste éponyme, sans doute la plus représentative des concepts qu’Illyes tient à développer : entre les rythmes ternaires présents dans les musiques traditionnelles d’Afrique du Nord, qu’Illyes détourne pour mieux s’en saisir, les modes à transposition limitée  développés par le compositeur Français Olivier Messiaen, et un jazz contemporain sans concession, tant dans l’écriture, que dans l’improvisation.

Actuellement en pleine promotion de son nouvel album, Illyes aime prendre le temps de rester auprès de sa famille, dès que l’occasion se présente. Souvent en voyage, comme l’impose la vie d’artiste, il s’est récemment produit tout près de Toulouse, à Fonsorbes, lors du festival Jazz sur son 31. Quelques jours plus tard, direction Paris, au prestigieux club parisien du Duc des Lombards fin octobre.

Un nouveau projet remarqué, des dates qui se succèdent et une agitation positive autour de lui… De quoi laisser présager qu’Illyes Ferfera fera bien partie des artistes jazz incontournables les prochaines années. En attendant, les toulousain·es, pourront le revoir très vite dans sa ville d’adoption où il devrait se produire au printemps prochain.

Illyes Ferfera en musique A l’Université Jean Jaurès où il enseigne, Illyes Ferfera se prête au jeu du pédagogue avec la volonté « de transmettre le respect du beau, là ou l’on peut le trouver, qu’il soit d’ici ou de là bas ».

L’amour des rythmes ternaires du Maghreb et de leurs détournements, l’amour du jazz et de l’improvisation. Un amour nourrit à de multiples sources…

Avant de se lancer dans ce projet plus personnel qu’est Tawazûn, Illyes Ferfera a notamment joué auprès du génial André Minvielle, mais aussi avec le groupe qui mélange les traditions afro-arabo et berbères : Gabacho Maroc. Il s’est également distingué dans la Old School Funky Family, au sein du Grand Schwab, grand ensemble de jazz contemporain français (entre inspirations free, « musique de film » et musette punk) sans oublier le Wanderlust Orchestra, dans lequel il a rencontré des alchimistes qui comme lui, expérimentent et développent, à leurs manières, de nouvelles façon d’aborder la musique actuelle.

En 2024, enfin, il s’est donc lancé dans le grand bain et a dévoilé Tawazûn, son premier projet en tant que leader de quartet. A écouter ici:

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