Haut lieu de la culture alternative à Toulouse, le Mix’Art Myrys est « un lieu-projet d’ateliers et résidences d’artistes organisé en collectif autogéré ». Le 20 janvier, la mairie de Toulouse a déposé un arrêté de fermeture administrative du lieu au public, suite à une expertise de la commission de sécurité civile. Annlor, artiste plasticienne au sein du collectif depuis 7 ans et membre de la collégiale de l’association, revient sur cette annonce pour Chouf Tolosa.
Tout d’abord, en deux mots, quels sont tes projets au sein du Mix’Art ?
De manière générale, je développe des projets autour du renversement de la violence. Actuellement je travaille sur deux projets: une recherche protéiforme autour de la contraception et l’avortement végétal (à voir ici) ; et un projet de hacking de frontières pour contourner le blocus subit par les artistes de la Bande de Gaza, en Palestine (à voir là).
Pourquoi le Mix’art est-il sous le coup d’une fermeture administrative ?
C’est un bâtiment dans lequel on s’est installé en 2005, qu’on louait avant et qui a été racheté par Toulouse Métropole en 2018 pour nous le mettre à disposition. Cette fermeture est certainement prévue dans leur agenda depuis longtemps. Une commission de sécurité est arrivée de manière impromptue le 14 janvier et a acté le fait que le bâtiment n’était pas aux normes, ce qu’on savait tous depuis longtemps. En fait, avec le rachat du bâtiment, la Mairie avait normalement prévu une mise aux normes à effectuer et donc des travaux. Le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, était d’ailleurs favorable à ça, il faisait partie des signataires des projets d’achat et de rénovation. La commission nous a transmis une liste interminable de choses qui n’étaient pas aux normes qu’il fallait régulariser, mais que l’association avec ses fonds propres ne peut tout simplement pas assumer.
Récemment, vous avez appris qu’une partie de vos subventions ne vous seraient pas accordées, quelles structures se sont désengagées financièrement ?
C’est Toulouse Métropole et la Mairie qui ont coupé les subventions, nous l’avons appris le 25 janvier. Jour après jour, les nouvelles catastrophiques s’enchaînent. Nous sommes réellement dans le rouleau compresseur administratif. Il faut à chaque fois se réadapter et c’est vrai que ce n’est pas évident. Mais, il y a aussi du positif: on reçoit beaucoup de lettres de soutien et ça nous encourage à continuer la lutte. Quelqu’un a utilisé une expression assez parlante comme quoi Toulouse Métropole et la Mairie ont « débranché l’association ». Dans les faits, avec les fonds propres de l’association, pour payer les salaires, les fluides etc, on tiendrait trois mois maximum.
Vous vous êtes mobilisés ces dernières semaines pour visibiliser votre lutte, mais aussi en solidarité avec d’autres organisations en difficulté (DAL 31, centre solidaire Abbé Pierre). Qu’attendez vous de ces luttes ?
Notre principale revendication est un retour à la table des négociations de la part de Toulouse Métropole, de manière à ne pas perdre le lieu, et surtout le projet du lieu, qui est de travailler tous ensemble. Parce que ce format-là permet à chaque artiste, à chaque collectif, à chaque compagnie de théâtre, d’être dans un échange des savoirs, dans une mutualisation des moyens, à la foi humains et mécaniques au niveau des outils etc. Pour nous en tant qu’artistes c’est vraiment nourrissant de travailler dans ces conditions là.
Avez vous eu des retours concernant la manifestation du dimanche 24 janvier qui a rassemblée plusieurs milliers de personnes en soutiens contre la fermeture du Mix’Art Myrys ?
Nous avons eu beaucoup de retours positifs. Et à titre personnel ça nous a fait beaucoup de bien car nous étions dans une grosse période anxiogène où il fallait vite réagir, malgré l’émotion. Donc voir ce rassemblement avec tous ces soutiens nous a fait chaud au cœur, et c’était une très belle manifestation. Cependant de la part de la Mairie il n y a eu aucun retour à part ce débranchement des subventions qui n’était pas du tout le retour espéré. Pour le moment, nous sentons qu’il n’y a pas de réelle volonté de la part de la Métropole et de la Mairie de négocier quoi que ce soit.
Y-a-t-il eu des réactions ou des soutiens de la part de la Région ?
Pour le moment la Région et la DRAC n’ont pas réagi, je sais qu’ils soutiennent des artistes au sein du collectif pour des aides à la création par exemple, ainsi que des évènements portés par Myrys. Donc, peut-être qu’il y aura un soutien à l’avenir.
Mix’Art Myrys a plus de 25 ans d’existence. Ce projet et ce lieu ont-il déjà dû faire face à des menaces aussi sérieuses ?
A l’origine, Myrys est issu du squatt, donc il y a eu des rapports de force avec la Métropole et Toulouse qui ont donné lieu à l’installation dans le lieu où nous sommes maintenant depuis 2005. Mais la manière avec laquelle les annonces viennent d’être faites, aussi violente et rapide, je ne pense pas qu’il y ait eu d’épisodes de ce type là. Même sous le format squatt cela ne se passe pas de manière aussi brutale. Aujourd’hui, certains artistes n’ont plus accès à leur atelier, puisque considéré comme du public selon l’arrêté de la commission de sécurité.
Avez-vous encore accès aux locaux ?
Seuls les salariés et les personnes qui font partie de la collégiale (une association collégiale est une association ne comportant pas de dirigeants : tous ses membres sont à égalité, NDLR) ont encore accès aux locaux, les autres non. On respecte scrupuleusement les directives qu’on nous a transmises pour éviter une mise sous scellés si jamais on ne suit pas toutes les procédures.
Que se passerait-il pour les artistes et les structures tel que Tetaneutral que vous hébergez, si la fermeture administrative venait à être définitive ?
Iels devraient peut-être trouver d’autres associations et d’autres structures pour les héberger, mais dans l’idéal nous voulons lutter pour rester ensemble et ne pas être divisés.
D’après vous, il y a une volonté politique derrière ces événements ?
Je pense qu’à l’échelle européenne, il y a certainement une volonté de laisser de moins en moins la parole aux idées et projets alternatif.ve.s. Pour preuve, certains lieux comme ADM – un lieu de création à Amsterdam aux Pays-Bas qui existait depuis 1997 -, se sont fait expulser des locaux de manière assez sale juste après Noël en 2019. Ce que nous vivons ici, à l’échelle de Toulouse, est donc visible aussi ailleurs. Le monde tel qu’on nous le propose aujourd’hui considère les artistes comme non-essentiels, dans un paysage culturel de plus en plus lisse et avec un discours dominant qui prend toute la place. Là, on se bat pour Myrys, mais le combat est plus large que ça. On se bat pour tous les lieux de culture en danger, pour qu’une autre parole puisse être diffusée et que des alternatives puissent exister. Toutes ces choses sont clairement étouffées globalement et cela dépasse le courant politique de Toulouse.