Après « La langue de Zahra », « Les Gracieuses » et « Résistantes », la réalisatrice Fatima Sissani revient avec un nouveau film pour nous parler de rénovation urbaine et de gentrification des quartiers populaires. Son documentaire « C’est une belle carte postale » a été projeté à l’Utopia Borderouge le 30 mars. Il continue sa tournée de projections en France. Critique.
« C’est une belle carte postale » plonge les spectateur.trice.s dans la vie des quartiers nord de Marseille, plus précisément celle du Plan d’Aou. Adoptant une démarche féministe et antiraciste, l’autrice donne une voix aux femmes locales et nous livre leur quotidien, leur histoire, à travers les différents projets de rénovation qu’a connus le quartier.
Cette vision radicalement féministe offre un point de vue intéressant au documentaire. Le regard de la réalisatrice met en confiance ses interlocutrices (voir notre compte-rendu de la table ronde qui a suivi la projection du film à l’Utopia Borderouge le 30 mars). Et Fatima Sissani se met aussi parfois devant la caméra pour créer un climat d’intimité avec certaines personnes interviewées.
À titre personnel, cette manière de filmer m’a donné l’impression d’être plus proche de ces personnes et de créer du lien avec elles. Cette approche s’inscrit dans le style authentique et bienveillant de la réalisatrice. Il rappelle l’un de ses précédents films, réalisé en 2014, « Les Gracieuses », un récit d’amitié touchant entre des jeunes femmes qui font voler en éclats les clichés sur les quartiers populaires. Ici aussi, Fatima Sissani prend le contre-pied des clichés pour raconter une nouvelle histoire de ce que peut être la rénovation des quartiers populaires.
C’est une belle carte postale… from primitivi on Vimeo.
Dense en informations, le documentaire offre une vision complète des situations vécues par les habitant.e.s à travers le regard de générations différentes et de personnes aux perspectives neutres ou au contraire engagées. L’oeuvre met également en lumière les difficultés rencontrées par les habitant.e.s du quartier. En effet, la politique de mixité sociale n’a pas réussi à faire son effet, les nouveaux bâtiments n’ont pas éradiqué la pauvreté et les points de deal. Par ailleurs, les populations les plus riches ne se mélangent pas aux plus précaires, créant une absence de liens. La destruction des bâtiments a également anéanti les rapports de solidarité, les ancien.ne.s résident.e.s étant dispersé.e.s dans toute la ville. Les habitant.e.s se battent pour continuer à vivre dans leur quartier et tentent de participer à des consultations citoyennes pour décider du futur du Plan d’Aou, mais leurs demandes sont souvent ignorées par les autorités politiques.
Les témoignages des femmes et des jeunes filles oscillent entre la nostalgie des temps anciens et la désillusion face à la politique menée par la ville pour tenter d’améliorer les conditions de vie des populations pauvres. Le documentaire offre ainsi un aperçu de la vie dans les quartiers nord de Marseille, mais également de la complexité des politiques de rénovation urbaine. Les élus apparaissent à l’image, notamment dans une scène d’inauguration d’un bâtiment neuf. Cette scène est pour moi la définition de l’expression « l’enfer est pavé de bonnes intentions » : on a clairement l’impression que les élus sont hors-sol, ils pensent que leurs actions sont justifiées et que c’est une politique sociale honnête, mais se préoccupent peu ou pas de l’avis des premiers et premières concerné.e.s.
En somme, « C’est une belle carte postale » est un documentaire éloquent et nécessaire pour comprendre les enjeux de la vie dans les quartiers populaires et les luttes de leurs habitant.e.s pour une vie meilleure. Il est aussi une description précise de ce qu’est la gentrification et ses conséquences.
