Le 30 mars dernier, le film « C’est une belle carte postale » de Fatima Sissani a été projeté à l’Utopia Borderouge. Le documentaire, qui donne à voir et à entendre des habitant·es du Plan d’Aou à Marseille sur la rénovation subie par leur quartier, a ensuite fait l’objet d’une table ronde. Chouf Tolosa y a assisté.
A Toulouse comme dans les autres grandes villes, la gentrification et la rénovation urbaine sont des sujets qui concernent et préoccupent beaucoup les habitant.e.s des quartiers populaires. Le 31 mars dernier, l’Utopia Borderouge leur a donné la possibilité d’échanger sur ce thème. La réalisatrice Fatima Sissani était de passage pour présenter son dernier documentaire « C’est une belle carte postale » qui donne à voir un processus de rénovation urbaine, celui de la cité populaire du Plan d’Aou à Marseille, décrit et narré par ses habitant·es (voir par ailleurs notre critique du film).
Qui détruit ? Pourquoi ? Pour qui ? Qui pense les « réaménagements » et les rénovations urbaines ? Quelles violences sociale, économique et politique, ces projets recouvrent-ils ? Quelles ripostes ? Quelles organisations des habitant·es sont possibles face à cela ? Ces questions, qui traversent le film de Fatima Sissani, ont été évoquées lors de la table ronde qui a suivi la projection de son documentaire. Différents témoins se sont exprimés et plusieurs points ont pu être abordés concernant des projets de destruction en cours, mais aussi passés.
Aux côtés de la réalisatrice étaient présent.e.s Yamina Aissa Abdi, co-fondatrice de l’association Izards Attitude, Americo Mariani, docteur en sociologie à l’université Jean Jaurès, Michel Retbi du collectif d’architecte Candilis et Brigitte Touillet, représentante de l’assemblée des habitant.e.s de la Reynerie.
Les premières questions sont posées à Fatima Sissani : pourquoi apparaît-elle à l’écran ? Selon la réalisatrice, la confiance des habitantes et le fait qu’elles soient à l’aise devant la caméra n’est pas innée, et sa présence à leurs côtés, devant la caméra, permet qu’elles ne se sentent pas seules et oppressé.e.s par l’objectif. « Je ne veux pas mettre d’étiquettes aux personnes qui apparaissent à l’écran » ajoute-t-elle, son but étant d’amener une horizontalité de la parole des personnes en atténuant la différence des milieux sociaux. De fait, même si l’on devine des paroles plus ou moins « expertes » parmi les interlocutrices, cela n’est pas explicitement mentionné.
Les explications de la réalisatrice sont brusquement et maladroitement interrompues par une personne du public qui s’inquiète de ce que le débat sur la gentrification des quartiers populaires toulousains ne soit pas abordé.
Comme en réponse, Yamina Aïssa Abdi s’exprime sur la rénovation des Izards. Elle épingle les fausses concertations où les autorités demandent aux habitant.e.s ce qu’ils·elles pensent et comment doit être aménagé le quartier, alors que, dans les faits, tout est déjà décidé d’avance. « Il y a une résidentialisation avec l’apparition de grilles vertes et de digicodes partout, des habitant.e.s qui s’isolent et ne se parlent plus » déplore-t-elle. Par ailleurs, Yamina Aïssa Abdi constate que les immeubles sont soit disant détruits pour éradiquer le trafic et elle regrette le fait qu’on ne parle pas de santé publique, mais seulement du bâti, sans prendre en considération l’humain.
En écho, la représentante de l’assemblée des habitant.e.s de la Reynerie (zone du grand Mirail), Brigitte Touillet, parle de la destruction des quartiers: « Ils cassent nos maisons, mais c’est pour nous casser à nous », souligne-t-elle, évoquant notamment la destruction du collège Raymond Badiou dans un quartier de plus de 7 000 habitant.e.s. Selon elle, chaque bâtiment promis à la destruction devient un potentiel point de deal. Elle s’interroge : y aurait-il une volonté politique de laisser s’installer le trafic pour pousser les habitant.e.s à quitter leurs logements ?
Le représentant des architectes Candilis, Michel Retbi, parle, lui, du projet de détruire plus de 1000 habitats au Mirail. Son cabinet, à l’origine de la construction de certains des anciens bâtiments, a lancé une enquête publique concluant qu’il ne fallait pas détruire le quartier, mais seulement le restructurer. D’après lui, l’investissement serait de plusieurs dizaines de millions d’euros gaspillés : « l’impact humain est dramatique, l’impact écologique aussi ». Le coût de la rénovation est inférieur à celui de la reconstruction et, pour lui, le choix de la destruction est une aberration. « Ce qui fonctionne pour avoir de l’argent, c’est de démolir pour reconstruire des habitats ensuite loués plus cher », regrette-t-il. Avant de préciser que la demande de moratoire de son cabinet d’architecture par rapport au Mirail, a reçu un silence assourdissant des instances politiques.
Enfin, Americo Mariani, docteur en sociologie, évoque « la violence invisibilisée produite par 20 ans de travaux, 20 ans de poussières. C’est une réponse technique qui annihile la vie des gens ». Pour le sociologue, le problème réside en partie dans la question de la propriété : on peut en effet plus facilement déplacer les locataires que les propriétaires. Les constructions sont aussi créées pour faire en sorte de contrôler les éventuelles)insurrections populaires, donc les bâtiments sont reconstruits pour faciliter le passage des policiers. « De nombreux problèmes sont évoqués tels que l’individualisme, la religion etc, mais le fond du problème, c’est qu’il n’y a pas d’argent pour ces populations », précise-t-il. Il évoque aussi la politique menée qui se fait à des fins de valorisation du foncier pour que des promoteurs se fassent plus d’argent.
D’autres idées évoquées dans le documentaire sont revenues dans la discussion: les quartiers comme lieux d’expérimentation, par exemple avec le dispositif de mixité sociale dans les collèges et lycées qui laisse à beaucoup le sentiment d’être les cobayes d’une expérience bancale ; la symbolique du mur ou de la grille pour isoler sciemment les quartiers ; la destruction des liens de solidarité entre les habitant.e.s ; ou la maltraitance concrète des travaux imposant les murs qui tremblent, les coupures d’eau et de réseaux aux personnes présentes dans les bâtiments.
Pour aller plus loin
A retrouver bientôt, l’intégralité des échanges de cette soirée sur le podcast Coeurs Fières.
A voir, la pétition « Pour une rénovation des immeubles Candilis du Mirail, sans démolition et sans relogement ! » .
Et à lire, ce long article de Loez sur le site Ballast .
De façon générale, cette table ronde a mis en évidence que la rénovation urbaine est comparable à une machine de guerre arrivant dans les quartiers populaires considérés par les autorités politiques comme des lieux de déperdition devant être détruit. Un problème en partie lié au racisme structurel, a rappellé Fatima Sissani : selon elle, pour les décideurs, les populations immigrées n’ont pas vocation à rester là, ne sont que de passage, et ils estiment donc pouvoir en faire ce qu’ils veulent.
Dans ces conditions, a-t-il enfin été souligné, pour faire face, les habitant.e.s ont tout intérêt à se monter en collectif et en association conjointement avec des personnes ayant une parole d’autorité sur le sujet : architectes, sociologues, élus locaux, etc.
Le 13 avril 2023, deux semaines après cette table ronde, les habitant.e.s de l’immeuble Gluck, dans le quartier de la Reynerie, apprenaient le rejet de la demande de suspension de la démolition du bâtiment par le tribunal administratif de Toulouse. La justice considère que l’édifice n’a aucun intérêt architectural. Toutefois, les habitant.e.s et les collectifs continuent leur mobilisation.