Si la menace d’un Rassemblement national au sommet de l’Etat semble pour l’heure écartée, le pays traverse une zone de turbulence politique qui risque de durer. A Toulouse, plusieurs initiatives ont eu lieu ces dernières semaines pour permettre aux gens d’échanger et de se projeter. Exemple à la maison de quartier de Bagatelle qui a accueilli jeudi 4 et mercredi 10 juillet des débats populaires.
Une centaine de personnes, habitantes et habitants des quartiers sud de Toulouse, Bagatelle, la Faourette, Papus, Tabar, Bordelongue, se sont retrouvées jeudi 4 juillet devant la maison de quartier de Bagatelle pour un apéro-débat consacré au second tour des élections législatives. A trois jours d’une échéance redoutée, une vingtaine de structures associatives des quartiers et de solidarité soutenaient ce rendez-vous « pour le partage et la solidarité, contre la haine et les exclusions ». Ils’est tenu durant deux bonnes heures sur le parvis de la maison de quartier, sous le soleil.
Animé par deux militantes associatives armées d’un sablier pour éviter les interventions trop longues et invitant chacun·e à laisser les autres s’exprimer, le débat s’est déroulé dans la bienveillance. Et bien loin de la cacophonie des plateaux télé, même si les avions en approche sur l’aéroport de Blagnac ont parfois monopolisé l’espace sonore…
La première question posée est simple : « Comment ça va ? Comment vous vivez l’actualité ? »
Dans les réponses revient à plusieurs reprises « la peur du RN » mais aussi, une fois, celle du Nouveau front populaire (NFP) « parce que Front populaire ça nous ramène à 1936 et quatre ans après il y a eu la guerre », s’inquiète une dame. Au contraire, un homme voit dans le NFP, « un espoir qui vient de se lever. Il faut rester uni, faire bloc, ne pas manquer ce rendez-vous, c’est un moment important qu’on est en train de vivre ». Une autre fait part de son « sentiment de colère et de frustration d’avoir senti les choses arriver » et de malgré tout se retrouver avec « un sentiment d’impuissance ». A l’une qui, en tant que personne « blanche et un peu âgée » estime ne « pas risquer grand chose » mais s’inquiéter pour « les gens un peu borderline, ceux qui sont dans l’insécurité de par leurs papiers, leurs religion, leur couleur de peau ou leur travail », une autre femme répond que « tout le monde est concerné », car tout le monde subira « la répression d’un État autoritaire », si l’extrême-droite arrive au pouvoir.
Question suivante: « Après dimanche, quoi qu’il arrive, comment on vit ensemble ? ». Le collectif « On est-là » appelle les habitant·es à se joindre à leurs réunions organisées depuis plusieurs mois. Un homme informe que la candidate RN dans la 9ème circonscription de Haute-Garonne (qui comprend le quartier de Bagatelle Faourette), Carolie Beout, est conseillère à Patrimoine SA, une entreprise de gestion de logements sociaux implantée dans le quartier. Un poste stratégique quand, rappelle-t-il, « la gestion des HLM est un sujet qui amène de la colère dans les quartiers, où des familles de plus en plus pauvres ne peuvent avoir accès à des logements sociaux… ». La démolition, en cours, des immeubles de grands ensembles de la Reynerie voisine, contre laquelle une lutte d’habitant·es s’est organisée, est également abordée et discutée.
La troisième question ouvre des projections sur la suite en terme de construction collective. Ramenant le sujet de la menace d’agression physique très concrète portée par des nervis fachos qui semaine après semaine prennent la confiance, un homme invite à « créer des comités de vigilance et à s’auto-organiser dans les quartiers et les secteurs pour y faire face ». Un autre fait référence à la lutte des Kanaks et parle de « comités de coordination d’action antifasciste ». La question, centrale, du vote RN dans les zones rurales et de la façon d’y faire face, est posée. Il faut faire « se rencontrer les territoires urbains et ruraux, c’est dans la connaissance et la reconnaissance qu’il y a un espoir », souligne un intervenant. Un monsieur déficient visuel indique, entre humour et sérieux, que, pour sa part, il ne pourra se rendre en banlieue toulousaine qui si on l’y accompagne… Un militant de la Ligue des droits de l’homme (LDH) évoque « ces gens qui votent RN à qui il faut aller parler, même si c’est difficile, car ce sont des gens qui se font tromper » par certains discours politique et médiatique.
Plusieurs personnes invitent à ne pas trop se faire d’illusions sur les réponses politiques d’une gauche qui a beaucoup trahi dans les quartiers ces dernière décennies. « Il ne faut pas croire que le NFP va arriver et que tout va aller mieux », résume un participant pour qui « il ne faut pas être dupe : le Parti Socialiste est une organisation bourgeoise ». Dans ce schéma, plusieurs insistent sur la nécessité de s’organiser à la base pour faire pression sur le gouvernement quel qu’il soit. « Si il n’y a pas de mobilisation populaire, ça ne fonctionnera pas », prévient un homme.
Le lien avec le mouvement des gilets jaunes, la responsabilités des médias de Bolloré, la « honte » de devoir expliquer la situation française aux amis vivant à l’étranger, le désir plus ou moins affirmé de « quitter la France », les inquiétudes sur la libération de la parole raciste en cours s’expriment encore dans l’assemblée. La députée sortante Christine Arrighi (EELV-NUPES) réinvestie par le NFP est présente. Alpaguée sur son manque de présence dans la circonscription, l’élue répond que son travail est avant tout de voter des lois à l’Assemblée. Comme prévu, le débat s’achève autour d’une table apéro/goûter.
Dimanche 7 juillet, lors du second tour, Christine Arrighi a été réélue députée de la 9ème circonscription de la Haute-Garonne avec 54,5 % des voix. Son adversaire du RN, complètement invisible pendant la campagne, a recueilli 26,7 % des suffrages. Mais l’extrême-droite, sans accéder à Matignon, constitue désormais l’un des trois blocs de l’Assemblée nationale, renforcé d’une cinquantaine d’élu·es par rapport à la mandature sortante. Penser et construire collectivement les résistances pour la suite demeure une nécessité urgente. Partout et avec tout le monde. Le 4 juillet, la maison de quartier de Bagatelle, où une autre réunion était prévue mercredi 10 juillet, a pris sa part à ce combat collectif.