En France, la politique d’accueil des étrangers n’a cessé de se durcir ces dernières années, les lois immigrations qui se succèdent cédant toujours un peu plus de terrain à l’extrême-droite. Comment être clandestin dans ce pays ? En 2008, l’écrivaine Marie Cosnay a assisté à des audiences de « sans-papiers » au tribunal de Bayonne. Et en a fait un récit, toujours d’actualité 17 ans plus tard.

« Par rapport à autrui, j’ai à faire. La révolte, je ne sais pas la mener. Le chagrin m’envahit. Je le pense insuffisant, agaçant, inquiétant même, s’il n’est accompagné de mise en question et de travail, tout modeste que soit ce travail. C’est en mon temps et en mon nom que des milliers de migrants d’Asie et d’Afrique sont enfermés dans les prisons modernes de l’Europe ».
Un titre poétique pour évoquer une réalité sociale et politique bien plus cruelle. Une écriture engagée, portée par un militantisme actif. En 2008, Marie Cosnay, ex-enseignante de lettres classiques, traductrice de textes antiques, écrivaine et activiste pour l’accueil des migrants, a consacré un livre aux récits d’étrangers sans titre de séjour, présentés devant le Juge des libertés et de la détention (JLD) au tribunal de grande instance de Bayonne.
Dans cet ouvrage intitulé Entre chagrin et néant, Marie Cosnay (qui a depuis écrit une vingtaine de textes, récits, ou essais souvent consacrés à la question des trajectoires migratoires, un fil rouge dont on trouve aussi trace sur son blog de Mediapart) dénonce un système qui déshumanise des individus ordinaires. De mai à septembre 2008, pendant cinq mois, elle écoute, observe et prend des notes dans une salle où se croisent juges, greffiers, représentants de la préfecture (qui plaident pour la rétention), avocats (souvent commis d’office), interprètes, policiers aux frontières et parfois les familles et proches des « retenus ».
Ce livre est un miroir tendu à chacun, renvoyant l’image de sa propre conscience. A travers des témoignages datés et chronologiquement restitués, l’auteure montre une violence légale, vertigineuse, immorale et indigne : « Franck, Victorine et leurs enfants sont présentés devant le juge. La présence des enfants émeut tout le monde, jusqu’aux policiers de la PAF. L’un d’eux fait jouer Shanee, trois ans, avec l’étui de son pistolet. Le même policier fabrique des avions en papier dans le hall du tribunal pour la petite fille et répète, alors que je la berce dans mes bras : “C’est une honte de voir ça, comment on traite les gens” ». Étonnant, venant d’un flic !
Les témoignages s’enchaînent comme dans une pièce de théâtre.
« Pour moi, ( Mehdi, ouvrier Marocain) il est hors de question de quitter la France. J’y travaille depuis deux ans, je n’ai jamais arrêté de travailler, je fais vivre toute ma famille au Maroc. Je veux continuer à gagner ma vie. Je devrais partir alors que j’ai un CDI ? Je fais que bosser, bosser, bosser !»
À cela, la juge répond simplement : « Vous avez un titre de séjour ? ». Puis elle ajoute : « Moi, je ne peux pas vous l’expliquer, je ne suis pas la personne qui a pris cette décision, c’est un choix de l’administration. » Mehdi quitte le tribunal, entouré par la PAF. Expulsé.
Pour clore ce ballet de larmes et d’injustice, Marie Cosnay cite Philippe Bernard, journaliste du Monde : « Le phénomène social de la xénophobie ne peut asseoir son empire sur le champ politique que lorsque les élites dirigeantes désignent l’étranger comme un problème. »
Entre chagrin et néant de Marie Cosnay. Éditions Laurence Teper, 2009, 14,80 €.