Comment le titre phare de la presse quotidienne régionale, la Dépêche du Midi, parle-t-il des quartiers populaires ? Sans prétendre à l’exhaustivité, Chouf Tolosa s’est penché sur dix ans (2005-2015) de traitement de l’occurrence « Reynerie » dans le journal le plus lu de Toulouse. Résultat : un récit anxiogène et très sélectif de ce qui se passe réellement dans les quartiers. Et le dévoilement, en creux, des échecs des politiques publiques qui y sont conduites.
L’image médiatique des quartiers populaires est un sujet de débat régulier entre ses habitants. De façon un peu binaire, on peut distinguer d’un côté ceux qui souhaitent renvoyer une image dite « positive » du territoire et de l’autre ceux plutôt favorables au renforcement d’une image dite « négative », permettant de développer la concurrence entre quartiers sur leur « réputation » ou leur économie parallèle. Le fait est que ces différentes approches existent dans les quartiers. Mais sont-elles traitées de manière représentative par les médias mainstream, ou les choix des rédactions sont-ils clairement orientés ?
Chouf Tolosa s’est livré à un travail d’analyse du quotidien local le plus lu et le plus vendu à Toulouse, La Dépêche du Midi. Champ observé : 10 ans d’articles où apparaissent le mot « La Reynerie » avec comme point de départ les révoltes des jeunes en novembre 2005 jusqu’à novembre 2015. Au total, 1 813 articles ont été lus et analysés (1) .
L’ordre d’apparition du quartier de la Reynerie dans les colonnes de la Dépêche du Midi varie entre 140 et 220 articles pour les années où le quartier est le plus cité. Nous avons choisi de les classifier par thématiques : violences urbaines, délinquance, activités associatives ou culturelles, politique, logement, drogue, école, lac et parc de la Reynerie. Seize catégories ont ainsi été définies au final (2). Les articles traités sont de deux sortes : ceux traitant directement du quartier ou ceux faisant simplement référence au quartier.
Les articles concernant les violences urbaines, la délinquance, la drogue et le radicalisme religieux, des catégories « négatives », représentent environ 43% des articles. Un chiffre en réalité sous-évalué car ceux concernant l’école ont été classés dans une autre catégorie, mais, de fait, une part d’entre eux traite aussi d’actes de violence (11% des articles sur l’école parlent directement de violences physiques) Ce qui ramène à environ 44% d’articles parlant de faits négatifs associant le quartier de la Reynerie, sur ces dix années d’analyse.
Le débat ne porte pas sur la réalité effective des faits cités (bien qu’une nuance pourrait être apportée sur certains faits qui ont « mérité » un article) mais plutôt sur tous ceux passés sous silence. La Reynerie est aussi un quartier toulousain où agissent de nombreuses associations et où un nombre important d’événements culturels ou sportifs ont lieu chaque année. Il n’y a pourtant que peu d’articles là-dessus : seulement 18% des articles sur cette période. Ce chiffre, implacable, montre le choix de traitement clairement opéré par la rédaction. Et questionne sur la part de responsabilité que peut avoir un média dans la fracture de plus en plus grande entre les populations, les communautés et les classes sociales sur les vingt dernières années. Comme le dit un vieil adage, il n’y a pas seulement le sexe ; la violence et le sensationnel font vendre aussi.
Le choix de traitement des sujets liés au quartier n’est pas le seul problème. Il existe aussi un nombre important d’imprécisions qui montrent que les journalistes ne se déplacent pas toujours sur le secteur et ne vérifient pas la véracité des informations. L’ « erreur » la plus classique est de citer des bâtiments ou des écoles qui ne se trouvent absolument pas à la Reynerie. Quelques exemples : le 22 juillet 2008, un article cite le Tintoret comme étant à la Reynerie, ceci se reproduit à plusieurs reprises comme dans un article du 23 novembre 2012, alors que c’est à Bellefontaine ; le 22 janvier 2008, un autre déplace l’école Falcucci de Bagatelle à la Reynerie, alors qu’il y a quand même un périphérique entre les deux quartiers. Il en est de même pour l’école Victor Hugo déplacée de Bellefontaine à la Reynerie dans l’article du 18 janvier 2013.
A ces imprécisions géographiques éloquentes en terme de mépris social (on ne se souvient pas avoir vu la Dépêche confondre un lieu culturel des Carmes avec un autre de la Daurade, ni déplacer une école de la Côte pavée à Saint Aubin…), s’ajoute la volonté de sensationnalisme sans vérification précise des informations, notamment lorsqu’il s’agit de voitures brûlées ou d’affrontements entre jeunes et police. Par exemple, le 22 janvier 2007, l’article mentionne 30 voitures brûlées. Le lendemain, l’article n’en cite finalement plus que 20. Mais le mal est fait.
Et comme si le nombre élevé de sujets de violence, éclairant les choix éditoriaux, n’était pas suffisant, certains journalistes n’hésitent pas à ajouter leur petite touche personnelle. Dans un article du 17 juin 2015, la journaliste parle « de la sinistre Reynerie » ; un autre article du 4 avril 2006 cite « un quartier à problèmes » ; deux ans plus tard, le 8 mars 2008, la Dépêche prévient ses lecteurs : « Mêmes « calmes », les cités toulousaines peuvent basculer dans la violence n’importe quand »…
De même, bien souvent, les titres choisis renvoient à une forme de violence permanente, et évoquent un lieu où les habitants n’ont aucune limite et ne savent qu’être dans un rapport frontal et guerrier : « Quartiers chauds : retour en force de la police » (article du 20 septembre 2008) ; « Rachida Dati ira-t-elle au contact des ados de ce quartier « dur » ? » (article du 3 juillet 2007)… Et quand le champ lexical n’est pas celui de la violence, les journalistes peuvent avoir recours à un vocabulaire infantilisant : « Les quartiers boudent l’élection », tel était le titre d’un article du 11 juin 2007. Comprendre : les habitants de la Reynerie sont trop petits pour saisir les enjeux électoraux et n’ont donc qu’une réaction primaire et infantile.
Le dernier axe consiste à présenter le quartier comme un espace de non-droit impossible d’accès pour le citoyen lambda en recourant à des images signifiantes. Les photos des jeunes en bas des tours servant à illustrer tous les maux du quartier sont un grand classique : dès que les articles parlent de drogue, de violence ou de radicalisation, elle sont utilisées sans aucun discernement. Comme si les jeunes qui sont en bas de chez eux étaient d’office reliés à ces problèmes. Sans aucune nuance : qu’ils dealent ou qu’ils aient basculé dans la radicalisation religieuse, ils sont toujours en casquette, cagoulés, avec des joints à la main.
On est donc fondé à être très sceptique sur la manière dont la Dépêche présente régulièrement le territoire. Mais, au-delà, un autre élément se dégage de notre décryptage de cette séquence de dix ans : en creux, ce choix de traiter prioritairement les quartiers sous l’angle du fait divers violent permet en effet de suivre l’évolution et la transformation de la délinquance dans le territoire concerné. Et qui, de fait, reflète l’échec successif des politiques publiques en la matière. Entre 2005 et 2013, les formes de violences les plus relayées étaient les rapports entre les jeunes et la police ou les agressions physiques entre jeunes. La drogue et le radicalisme religieux n’occupaient qu’une place minime dans la proportion d’articles traités. A partir de 2013, la drogue prend une place de plus en grande, passant d’une moyenne de 3% à 10%. Une évolution dramatique ayant entrainé plus d’une dizaine d’homicides sur la ville depuis 2013 ayant lien avec le trafic de stupéfiants.
Pour conclure temporairement, on pourrait invoquer la formation des journalistes, le fait qu’il est compliqué d’aller faire des articles dans le quartier de la Reynerie, ou la méconnaissance d’une réalité sociale du fait du désintérêt général de la profession et du peu de jeunes issus de ces quartiers dans les écoles de journalisme. C’est d’ailleurs en partie sur ces constats qu’est né Chouf Tolosa. Mais notre analyse montre qu’autre chose est en jeu : des choix sont faits et assumés, des choix politiques et éditoriaux pour parler clairement, et rien n’est mis en place pour nuancer l’image et diversifier les angles de traitement médiatique du quartier.
Avec cet effet paradoxal : en continuant à nourrir une image anxiogène des quartiers (stratégie de communication politique éprouvée aujourd’hui par tous les bords), La Dépêche du Midi contribue, malgré elle (?), à montrer l’inefficacité voire l’inaction de la République sur des territoires qu’elle dit vouloir « reconquérir » surtout parce qu’elle les a abandonné…
- (1): Violences urbaines; délinquance/justice; associations/culture/sport; politique; rénovation urbaine/logement; parc de la Reynerie/château; drogue; radicalisme religieux; école/collège; pauvreté/accès aux droits; violences policières; paroles d’habitants, emploi/économie, malaise associatif, faits divers; transports.
- (2): La somme d’articles réunie est susceptible de donner lieu à d’autres articles, plus tard.
2 comments
LE MEME PHENOMENE AVEC LE QUARTIER DE LILLE SUD A LILLE , QUARTIER DE 21000 HABITANTS, des ILS Y A DES INCIDENTS DANS LES QUARTIERS LIMITROPHES , ils est mentionner a chaque fois Lille sud , bizarre cest quartiers qui catalysent …
[…] district like that of Reynerie? This is the observation of Chouf Tolosa, a young online media, who analyzed the production of La Dépêche du Midi devoted to this district between 2005 and 2015. The work is colossal since 1,814 articles mentioning the term “la Reynerie” have been […]