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Quand la maternité devient politique

by Vanessa

La maternité utilisée comme une arme politique. Cette combinaison, la politologue Fatima Ouassak, auteure de La puissance des mères en a fait son credo. Chouf Tolosa s’est glissé dans la librairie toulousaine où elle est venue présenter son livre fin septembre. Morceaux choisis.

Fatima Ouassak, politologue, cofondatrice du Front des mères et auteure de La puissance des mères (© Carole Lozano)

Démontrer le potentiel politique de la maternité. C’est le postulat posé par la politologue Fatima Ouassak dans son dernier ouvrage intitulé La puissance des mères – pour un nouveau sujet révolutionnaire. Luttes féministes, racisme structurel, violences policières, écologie, son travail balaie des thématiques rarement, voire jamais, évoquées sous l’angle de la maternité.

« C’est un livre qui restera et qui est assez novateur car le sujet aborde la question de la maternité de manière globale. Cela dépasse le fait d’être dans un rapport parent-enfant. On peut ne pas être parent et se sentir concerné par le propos que défend l’auteure », explique Chloé Bénéteau, libraire chez Floury Frères.

Un propos que Fatima Ouassak est venue faire entendre le 29 septembre dans cette librairie du centre-ville, lors d’une double rencontre avec le public et Emilie Noteris, écrivaine qui s’interroge sur les questions de classes sociales, de genre et de race (ici son site ).

Ce mardi soir, rue de la Colombette, un public composé majoritairement de jeunes femmes écoute celle qui a commencé à politiser sa maternité lorsque l’école de sa fille a refusé de lui proposer une alternative végétarienne à la cantine. L’auteure ayant elle-même adopté ce régime alimentaire depuis une dizaine d’années. « Ce combat de mère commence par une histoire de viande dans l’assiette de ma fille et j’assume qu’il ait démarré de cette manière et non sur un sujet « super-politique ». Très vite, les autorités me soupçonnent d’avoir un plan caché pour imposer le halal, on me parle de Daesh, d’islamisation», explique Fatima Ouassak.

De fait, La puissance des mères s’attaque frontalement au noeud du problème : la dissonance entre la parole officielle des institutions publiques et celle des parents dont les enfants sont – comme le dit une certaine formule – issus de l’immigration. Avec du côté des représentants de l’Etat, un discours qui n’hésite pas à dépasser les prérogatives des institutions publiques, lorsqu’il s’agit de qualifier les choix alimentaires d’une mère pour son enfant. Ce dernier étant perçu comme une victime de l’obscurantisme religieux de ses parents à coup de régime halal forcé.

« Les parents de ses enfants sont perçus par les institutions comme étant démissionnaires mais dès lors qu’ils souhaitent défendre les intérêts de leurs enfants, ils se heurtent à la résistance de ces dernières. Il y a dans mon livre l’idée d’un conflit de loyauté entre les adultes racisés et l’institution », explique l’auteure.

«Vos mères sont glorieuses »

Féministe revendiquée, héritière assumée du combat porté des décennies plus tôt par le Mouvement de libération des femmes (MLF), Fatima Ouassak porte pourtant une parole peu entendue dans certains milieux féministes. Celle d’une féministe qui se bat en tant que mère. Un positionnement qu’elle lie directement à la question de la migration. « Les femmes de l’immigration mettent en avant leur statut de mère et ce n’est pas un hasard. Si elles ont migré, c’est avant tout pour offrir à leurs enfants une vie meilleure », note celle qui inscrit aussi son action dans les pas des « Folles de la place Vendôme ». En France, au tout début des années 80, des femmes dont les enfants avaient été victimes de crimes racistes ont cherché à mettre en lumière ces assassinats restés impunis. Il s’agissait pour la plupart de mères maghrébines qui ont commencé à s’organiser à la fin de l’année 1982, en transposant le modèle argentin des « folles de la place de Mai » (à voir, une vidéo d’archives de l’Ina expliquant leur combat). Le 21 mars 1984, à l’occasion de la journée internationale contre le racisme, elles s’étaient réunies place Vendôme sous les fenêtres du ministère de la Justice, d’où le nom de leur combat.

« Ces femmes assumaient d’être folles de rage pour leurs enfants, raconte Fatima Ouassak qui, le lendemain de son intervention à la librairie Floury, a pu rencontrer des mères du quartier des Izards. Elles disaient « on est là en tant que mères ». Leur combat devrait être dans l’histoire des luttes. Ces femmes issues de l’immigration post-coloniale se sont battues avant nous. C’est important de le savoir et de dire: « vos mères sont glorieuses et vous venez de là ». Nous n’inventons rien, nous partons de cette lutte-là ».

Loin d’être un livre de « sachant » venu donner des leçons de militantisme, La puissance des mères s’inscrit dans un projet de transmission des luttes, et de renouveau de ces dernières en partant de la base. Le livre est émaillé d’anecdotes. L’une d’entre elles, racontée lors de cette rencontre, retranscrit la consultation de l’auteure avec une pédiatre. « Elle n’a pas voulu me serrer la main et m’a dit qu’il était très important de laver son enfant. Pour mon éditeur, le côté petit récit-petit dialogue du livre pouvait déranger. Il m’a demandé pourquoi je n’utilisais pas le mot « mépris » pour qualifier cette scène au lieu de reprendre l’anecdote telle quelle mais pour moi ces petites touches sont importantes, parce que le racisme structurel c’est ça justement. Quand on a un propos très politique, on est vite renvoyé au discours de celui qui est parano, ou qui arrive avec ses gros sabots de militants ».

En évoquant avec des mots simples et efficaces, la violence des institutions, le racisme structurel, ou encore les violences policières dont sont victimes chaque jour en France de jeunes citoyens, Fatima Ouassak porte une voix singulière. Et invite les mères – mais pas qu’elles – à s’emparer de sujets qui convergent tous vers un seul but, celui de construire une société plus juste.

A lire : La puissance des mères – pour un nouveau sujet révolutionnaire, de Fatima Ouassak. Ed. la Découverte, Paris, 2020. 270 p., 14 euros.

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