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Parole d’enseignante

by Madam. H

Un professeur d’histoire, Samuel Paty, décapité le 16 octobre à Conflans Sainte-Honorine par un terroriste. Un jeune de 18 ans, élève dans un lycée professionnel, assassiné cet été à Toulouse, dans un “règlement de compte” lié au trafic. Face à ces drames, une professeure toulousaine dit la “mission” qu’elle s’est assignée en tant qu’enseignante: “éveiller le sens critique, dégager l’horizon des regards, ouvrir le monde”. Et s’interroge : Est-ce encore possible ?  Témoignage.

Chers amis, 

C’est malheureux à dire, l’école n’est plus un lieu de vie mais un lieu d’abattage. Abattage des professeurs (physiquement et moralement), abattage des enfants (intellectuellement), abattage des rêves (on les désoriente).

Je l’observe impuissante s’enfoncer inexorablement et prendre l’eau de toute part. En son sein tout le monde appelle à l’aide mais à l’extérieur tout le monde détourne le regard. Nous avons  bien essayé de colmater les brèches mais c’est comme mettre une rustine sur un cœur qui saigne, ça ne sauvera pas la vie. Le courant qui nous emporte est très puissant, c’est celui de l’ultra libéralisme. On ne peut rien contre…

Pourtant, l’an dernier on en a fait des grèves, et l’année précédente aussi. Enfin toutes les années depuis que je suis enseignante. Et bien avant aussi. Les réformes successives et les transformations comme on les appelle sont toutes passées en force, je vous épargne les détails. Vous pouvez les trouver auprès de n’importe quel syndicat enseignant, sauf la CFDT bien sûr.

Ça fait longtemps qu’on appelle à l’aide effectivement. Nous ne sommes pas les seuls, l’école est à l’image de la société toute entière. Depuis la rentrée, nous vivons des chocs proches ou lointains. Le mois dernier un de nos élèves a été assassiné (paix à son âme) dans son quartier, il a pris je ne sais combien de balles dans la tête, il devait passer son bac. La violence est partout. Et ses méthodes sont radicales. Monstrueuses aussi. Samuel Paty (paix à son âme) est un martyr de la République. J’ai une pensée émue pour sa famille, ses proches et ses élèves à qui je présente mes sincères condoléances. Éveiller un sens critique, faire réfléchir, confronter des idées, les faire dialoguer, développer les outils de la  réflexion et ainsi la construire, approcher le savoir, c’est ce qu’essayait probablement de faire ce collègue car c’est ce que nous essayons tous de faire. Telle est pour moi la plus importante des missions d’un professeur. Aider l’apprenant comme ils disent à construire un raisonnement fait de nuances et ainsi faire éviter à nos élèves les pièges du radicalisme et de ses pendants en  ismes, quels qu’ils soient. Dégager l’horizon de leur regard, ouvrir le monde. Est-ce encore possible ? J’en suis de moins en moins sûre.

Nos conditions de travail se dégradent à l’image de la société qui se dégrade et se crispe. Je démissionnerai le jour où je sentirai que je n’ai plus cette liberté. Je crois que ce jour n’est plus très loin. Je ne me fais pas d’illusion même si la géométrie est variable. Je suis algérienne, française, musulmane, mère, enseignante, poétesse et je ne cèderai à aucune injonction dictée par l’émotion et la manipulation. Je me désolidarise de tous les criminels y compris ceux de la classe élitico-politico médiatique, première pourvoyeuse de cette violence. Nous la voyons à l’œuvre depuis ce terrible attentat. On parle d’unité nationale mais je vois un déferlement de haine l’accompagner. L’école a échoué… Et la société aussi… Je dis non à l’attaque et à la persécution des associations qui luttent contre l’islamophobie et pour le respect des droits fondamentaux des musulmans à pratiquer leur religion. Aujourd’hui nous sommes tous suspects, demain nous seront tous coupables.

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