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Chrétiens et musulmans en maraude, ensemble

by Sarah Khorchi

A Toulouse, chaque semaine depuis sept ans, les jeunes bénévoles de la paroisse Saint Vincent de Paul et ceux de l’association des Etudiants musulmans de France marchent en maraude. Ensemble, ils aident les plus démunis et apprennent à mieux se connaître. Nous les avons suivi à deux reprises en mars et avril dernier. Reportage.

La préparation des sacs pour la maraude (©Sarah Korchi)

Chaque mercredi, derrière la porte discrète de la paroisse étudiante rue Valade, les petites mains s’activent. Les maraudes hebdomadaires prévues à 19H00 se préparent. Pendant près d’une heure les jeunes paroissiens et les jeunes étudiants musulmans travaillent main dans la main. En cuisine, les thermos sont remplis d’eau chaude, destinés aux boissons chaudes et aux soupes. En réserve, Abdel, Sarah et Rachelle trient avec soin les vêtements avant de les ranger dans les sacs tandis que Shaïnece et Robin s’occupent des produits alimentaires. Après près d’une heure d’agitation, les sacs sont fin prêts à être emportés. Direction le hall de la paroisse. Chaque semaine, le groupe de 25 maraudeurs est divisé en 5 groupes de 5. Chacun est attribué à un secteur: la gare, Capitole sud, Saint Aubin, Capitole Nord pour le groupe suivi.

Les frères et soeurs de la rue»

La marche est lancée. Les bavardages rythment le pas et s’arrêtent dès qu’apparaît « un frère ou une sœur de la rue ». Claude, 47 ans, est le premier rencontré. Lucie, 18 ans, étudiante en prépa littéraire, lui tend une soupe. Claude se réjouit de voir les bénévoles: « ça fait plaisir de discuter, à cause du covid on voit personne », confie-t-il. Sur la place Jean Jaurès, l’équipe croise Chris, 31 ans, un habitué. Ceux qu’il appelle « mes loulous » lui offrent un thé en prenant de ses nouvelles. La marche s’achève devant la basilique Saint-Sernin avec un jeune couple que nous nommerons Lisa et Arthur. Lisa, pour qui « c’est dur pour une fille d’être à la rue » reçoit des produits d’hygiène. Arthur au tempérament jovial chante et joue de sa guitare. Tandis qu’il entonne « ce n’est qu’un au revoir mes frères» le groupe rentre à la paroisse. Sur place, les musulmans et chrétiens qui le souhaitent font une prière. « Une chose de plus que nous avons en commun », affirme Aziz, l’initiateur de cette association.

Un parcours qui fait sens

Aziz Christian Coulibaly, aujourd’hui âgé de 28 ans, né en Côte d’Ivoire d’une mère chrétienne et d’un père musulman a grandit « dans le dialogue interreligieux », dit-t-il. Devenu chrétien par son « cheminement personnel », il débarque en France à 18 ans pour ses études d’ingénieur. Même s’il se prépare depuis petit à cette échéance, l’acclimatation à cette nouvelle culture et aux nouvelles mentalités « se fait quelque peu dans la douleur », dit-il. « Arrivé en France je me suis pris une claque » poursuit le jeune homme. Installé en région parisienne, il est confronté au racisme et découvre de nouvelles façons de penser et d’agir. Il entreprend alors son master en ingénierie aéronautique à Toulouse. Un endroit, pour lui, « un peu plus chaleureux que Paris ». Il décroche ensuite un emploi d’ingénieur en aéronautique. Exerçant pourtant un métier qu’il juge intéressant et pour lequel il est compétent, le jeune homme « ne trouve pas de sens » dans cette vocation. Il démissionne, et s’engage totalement dans le chemin spirituel et associatif.

Arrivé en 2015 à Toulouse, Aziz fait la connaissance de Pierre, étudiant chrétien à la société Saint Vincent de Paul à Toulouse. Au sein d’une équipe de paroissiens, ils réalisent des maraudes. A ce moment, Pierre est en contact avec Najib et Mehdi, deux étudiants des Etudiants musulmans de France (EMF) voulant s’inspirer de l’action paroissienne. Les connexions entre les étudiants musulmans et chrétiens jusqu’alors « froides », vont être resserrées sous l’impulsion d’Aziz qui se lie d’amitié avec Mehdi et Najib. Devenus amis, les jeunes étudiants décident de réaliser des maraudes ensemble. Six ans plus tard, l’équipe de maraudeurs est bien étoffée et compte une vingtaine d’étudiants musulmans et chrétiens qui marchent ensemble chaque mercredi. Un rendez-vous né, expliquent-ils, « du désir commun d’être au service de nos frères et sœurs de la rue ».

Aujourd’hui, Aziz multiplie les initiatives, mêlant spiritualité et actions sociales. Ayant transmis l’organisation des maraudes aux plus jeunes, il est désormais responsable du pôle charité de la paroisse. Un statut lui permettant de réaliser ce pour quoi il a quitté son métier d’ingénieur: « avoir un impact immédiat sur le progrès de la société et des mentalités ». Il accompagne des jeunes désirant être baptisés. Il met en relation des étudiants étrangers avec des familles pouvant les accueillir. Toujours créateur de dialogue interreligieux, il organise des rencontres philosophiques entre des musulmans et des chrétiens.

«Des hommes et femmes de bonne volonté»

Des moments symboliques ont marqué cette union entre musulmans et chrétiens. Père Damien, l’abbé de la paroisse, nous raconte par téléphone les « magnifiques moments » de Noël dernier. Après avoir assuré le service du repas, les membres de l’EMF ont voulu marquer le coup suite aux attentats de Nice en offrant des roses et des lettres aux chrétiens. Une occasion de plus pour Père Damien de distinguer, selon lui, « les hommes et femmes de bonne volonté » qui « en s’approchant de Dieu s’approchent de l’autre » des fanatiques « dont le problème n’est pas trop de Dieu mais une absence de Dieu ».

« Des choses bien différentes de ce que l’on voit à la télé », rigole Anna, jeune maraudeuse musulmane. Si les musulmans ont assuré le service de Noël dernier, les chrétiens ont accompagné la rupture du jeûne après les maraudes du mercredi durant le mois de Ramadan.

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