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Aux Izards, l’hommage à Ahmed Chenane

by Nabil

Mercredi 20 avril au matin, dans le quartier des Izards – Trois Cocus, de nombreuses et nombreux habitant·es, associations et élu·es se sont regroupé·es pour procéder à l’inauguration, au cœur de la cité, de la place Ahmed Chenane. Cette figure du quartier, disparu en 2020 a marqué les mémoires. Chouf Tolosa était là pour capter quelques récits, à vif.

Depuis mercredi, le quartier où il a tant oeuvré pour les autres a désormais une place au nom d’Ahmed Chenane. ©Nabil

Ce mercredi 20 avril, au coeur des Izards, une petite foule d’habitant·es et quelques personnalités politiques, dont le maire Jean-Luc Moudenc, sont venues rendre hommage à Ahmed Chenane en inaugurant une place au nom de cette figure du quartier, mort en 2020, à 84 ans. Chouf Tolosa a pu, à cette occasion, recueillir les témoignages de plusieurs membres de sa famille, Masmoudia, Kheira et Berded, ses enfants, ainsi que de Tayeb Cherfi, du Tactikollectif, l’un des initiateurs de ce projet. Des témoignages forts, vivants, enthousiastes et touchants sur l’histoire de cette personnalité du quartier, et, au-delà, de Toulouse.

Masmoudia est la première à évoquer son père : « Je m’appelle Masmoudia Chenane, je suis la fille de Ahmed Chenane. Mon père était venu en tant qu’ouvrier en France en 1957, ensuite ma mère l’a rejoint. Il est d’abord arrivé au camp de Ginestous, c’était des petits cabanons, des sortes de mobile-home. Parmi ces habitants, beaucoup ont ensuite habité, comme nous, rue Raphaël, dans les petites maisons de cette cité d’urgence. Il y avait un mélange de Gitans et d’Arabes, on vivait ensemble et il y avait beaucoup de convivialité ».

« Mon père s’occupait des gens du quartier », poursuit-elle, avant d’étouffer un rire et de lancer affectueusement : « avec sa petite mobylette là, il allait s’occuper des papiers; quand il y avait des décès, c’est lui qui allait au consulat, pour préparer la salle, prévenir les gens, etc. C’est quelqu’un qui avait du caractère… ». Visiblement très émue, elle confie: « c’est bien de faire cet hommage, et ça devrait se faire dans d’autres quartiers aussi, populaires comme on dit ». Avant de remercier tout le monde, notamment le Tactikollectif et Izards Attitude, les associations qui ont lancé l’initiative.

Masmoudia, Kheira, Berded et toute la famille Chenane, présente lors de l’hommage à leur père. ©Nabil

C’est Tayeb, justement, de Tactikollectif, qui raconte l’histoire de cet hommage particulier : « Voilà c’est une personne du quartier, on dirait aujourd’hui “un chibani”, qui est décédé il y a 2 ans, et donc on inaugure cette place du nom de cet homme qui a vécu l’exil de l’immigration et s’est ensuite investi à la fois dans ce quartier et dans ce pays, en citoyen qu’il était ». Nombre d’histoires se racontent autour de Monsieur Chenane, un homme qui a marqué les esprits tant par sa personnalité que par son dévouement aux autres. Tayeb, la cinquantaine, qui l’a bien connu, se souvient : « Les autres papas, car c’est la génération de nos papas, eux, ils allaient travailler et puis ils revenaient et puis une fois à la retraite, ils se retrouvaient entre eux. Lui, c’était le seul papa en vérité qui était vraiment engagé dans le quartier, qui a monté une association, qui faisait le bien autour de lui, gratuitement, comme ça. Et c’était vraiment une démarche originale et presque curieuse ! Il était animé par la dimension citoyenne du quartier. » Pour Tayeb, l’inauguration représente « quelque chose de fort, d’abord parce qu’avec Tactikollectif, on fait un travail de mémoire, culturel et politique, de l’immigration. Et puis, dans cette période où on est proche de filer le pouvoir à l’extrême droite, pour moi, c’est devenu un acte de résistance. »

Témoignage de Tayeb Partie 1/2
Témoignage de Tayeb Partie 2/2

Kheira, l’aînée de la famille Chenane, prend pleinement conscience de la portée de cet acte : « Je me rends compte que papa, là, il va rentrer dans l’Histoire… Je suis émue, ça me fait quelque chose, et je vois comme ça qu’il ne va pas être oublié, quoi », dit-elle, toute remuée. « De son quartier, il était très très proche, mon papa. Il aidait, il était pour la paix, s’il voyait des jeunes qui déviaient, il les rappelait à l’ordre, mais tout gentiment, tout simplement. Il était respecté, il a fait beaucoup, avec la mairie, avec l’Amicale ». Elle montre, enthousiaste, la grande tour de la cité derrière elle : « Là, juste à la tour, il y avait une petite salle et ils en ont fait une petite mosquée, ils allaient faire leur prière là-bas. Bon, après, la sécurité et tout, ils ont décidé de l’enlever, et c’est là où tous les chibanis se retrouvaient ». Elle poursuit, un brin songeuse : « Voilà, c’était un quartier… Et là, pour moi, il est… C’est comme si on l’avait décortiqué complétement, c’est plus le quartier qu’on a connu, quoi… ».

La plaque fraîchement découverte de la place Ahmed Chenane, au coeur du quartier des Izards. ©Nabil

Alors qu’une mélodie nostalgique continue de résonner en toile de fond, Kheira reprend, enjouée : « On a tapé sur Google : “place Chenane Ahmed”, ça nous a amené là. Je l’ai fait je sais pas combien de fois, je me suis dit “nan c’est pas possible !” Mais si ! La place Chenane Ahmed, t’imagines le nom de papa, il est là, ça me faisait bizarre… Et de là, vous allez rire, on a fait une capture d’écran, mis dans un petit cadre et je l’ai à mon travail, à côté de mon bureau! ».

Témoignage de Kheira

Mercredi, Berded, le quatrième enfant de Ahmed, a lu un discours au nom de la famille qu’il a introduit par « Mais qui était Monsieur Chenane ? ». Nous avons aussi pu recueillir son témoignage : « Mon père était quelqu’un qui allait de l’avant, lorsque des personnes sollicitaient son aide, il ne la refusait jamais, raconte-t-il. C’était un homme grand, dans le sens où il savait écouter et donner des conseils, il essayait toujours de protéger les intérêts de tous les habitants et de toutes les communautés du quartier. Il faisait tout pour qu’il y ait une harmonie sociale et éviter les tensions… Les années 60 / 70, c’était une époque très difficile, surtout pour les familles des quartiers populaires, on les parquait, c’était affreux. On devait se faire confiance et on devait s’aider, c’était important, c’était l’entraide… et Monsieur Chenane savait cela et il a toujours su que c’était un aspect très important dans la vie de quartier ». Son sentiment sur la plaque découverte mercredi : « Pour moi c’est une reconnaissance de tout le travail qu’il a fait. C’est aussi un repère pour toutes les familles issues de l’immigration, un repère historique. On ne doit pas arrêter : le vivre ensemble, l’harmonie sociale, la paix sociale doivent continuer et cette place Chenane est aussi un symbole que nous devons porter pour des décennies et sans doute des siècles. C’était très important qu’elle voit le jour ».

Témoignage de Berded partie 1/2

Berded en profite pour faire un petit cours sur l’histoire du quartier et les appellations originelles des cités des Trois Cocus. A écouter ici en intégralité pour les curieux.

Témoignage de Berded partie 2/2

Au final, Berded conclut avec un message résumant les témoignages entendus durant la matinée : « Pour moi, c’est une fierté d’être né au quartier des Trois Cocus, d’y avoir vécu, et d’avoir reçu l’éducation que nos parents ont essayé de nous transmettre, c’était très important pour eux ». Une éducation où les valeurs de solidarité, d’entraide et d’engagement, portées par Ahmed Chenane, étaient centrales. La place inaugurée mercredi à son nom sera désormais là pour le rappeler aux passant·es des Izards – Trois Cocus.

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